Brad, Bach et Beatles

Brad MelhdauUn artiste et son piano à la Maison symphonique. Telle était la mise en scène, vendredi soir, pour le retour de Brad Mehldau à Montréal, lors d’un concert du Festival international de jazz à l’année. Une mise en scène déjà vue et vécue à maintes reprises, notamment au Gesù en 2000, 2008 et 2011, ainsi qu’à cette même Maison symphonique, il y a deux ans.

Par Philippe Rezzonico

En toute franchise, un tel exercice sans filet s’avère d’ordinaire plus convaincant dans une salle intimiste comme le Gesù, plutôt que dans une IMMENSE salle comme la Maison symphonique, qui paraît encore plus vaste quand les spectateurs sont moins nombreux que lors d’une prestation durant le FIJM.

Le parterre n’affichait pas complet, vendredi, et il n’y avait qu’une poignée de spectateurs aux niveaux supérieurs. Qui plus est, les notes du piano semblaient avoir du mal se frayer un chemin au parterre en début de programme, détail technique qui a été corrigé avec brio à l’entracte.

Toujours tel un élève bien appliqué, Mehldau semblait peiner plus que naguère durant la première partie. Cela s’explique probablement par le fait qu’il avait moins souvent interprété en public certaines des pièces offertes. On le voyait fréquemment lire les partitions sur sa tablette (vive la modernité!) et son toucher sur les ivoires, souvent si aérien, était nettement plus crispé.

Le programme était résolument tourné vers l’univers classique : les propres improvisations de Mehldau (Rondo, Ostinato) ont joué à saute-moutons avec les Préludes et les Fugues de Jean-Sébastien Bach.

À la reprise, la nervosité de Mehldau était tellement palpable qu’il s’est interrompu après deux minutes. Alors qu’il s’essuyait – une fois de plus – ses mains moites, il a lancé : « Je suis nerveux ».

Bien que le constat fût une évidence, la blague et l’éclat de rire général qui a suivi ont semblé alléger l’atmosphère.

Comme si la concentration lui était soudainement revenue, Mehldau s’est lancé dans une série de Préludes (toujours de Bach) et d’improvisations où sa dextérité sur les ivoires avait retrouvé toute sa fluidité. Préférant les contrepoints aux accents, le pianiste américain à la touche délicate a tissé des motifs d’une main et coloré le tout de l’autre. Trois quarts d’heure d’une qualité technique de haut niveau, de jeu libre et d’inspiration retrouvée.

Il fallait voir son sourire quand il revenu pour le rappel avant que quatre notes (ta-ta-da-daaa…) annoncent And I Love Her. La clameur diffuse du public a démontré que certains spectateurs ne s’attendaient peut-être pas à un programme si « classique », à prime abord, mais espéraient des incursions dans l’univers de la pop.

Toujours est-il que Mehldau a trituré et étiré la mélodie de la composition de Lennon-McCartney de toutes les façons avant de s’en éloigner, d’improviser sans filet durant près de dix minutes, et de retrouver la ligne mélodique pour conclure en grâce et en douceur. Un pur ravissement.

Le deuxième rappel était d’approche plus directe, sinon que l’interprétation de Don’t Think Twice Is Allright (Dylan) semblait sortie, non pas de l’univers folk, mais d’un piano de la période du rag-time.

Mehldau ne voulait tellement plus partir qu’il est venu s’offrir un dernier feu d’artifice lors d’un troisième rappel qui a poussé la prestation individuelle à près de deux heures et où, finalement, les plus assidus d’entre nous aux spectacles de l’Américain depuis des années ont retrouvé l’ambiance des performances solo du Gesù.