Chanson française. Rien que ça… Au terme de deux heures et vingt minutes de prestation, James Taylor a conclu son passage au Centre Bell, vendredi, avec sa chanson francophone, comme s’il avait besoin de démontrer encore un peu plus son immense classe.
Par Philippe Rezzonico
Cette soirée a été bien plus qu’un magnifique spectacle de l’Américain. Les chansons de légende, l’instrumentation raffinée, les perspectives historiques et l’humour ont fait de ce spectacle une classe de maître.
Qui s’est d’ailleurs décliné dans des conditions d’écoute presque parfaites. Dès le doublé d’ouverture Wandering/Secret O’ Life on pouvait mesurer la netteté du son des guitares, la qualité des cuivres bien chauds, la batterie ronflante et les percussions qui coloraient à merveille les offrandes.
A-t-on déjà eu droit à une qualité sonore aussi exemplaire au Centre Bell, quand bien même en configuration théâtre? Si oui, je n’y étais pas. Je me disais que je n’avais pas entendu un spectacle d’une telle perfection sonore depuis celui de Paul Simon en 2006 à la salle Wilfrid-Pelletier. Il y a bien eu ce type et sa blonde qui ont emmerdé toute notre section en début de spectacle avec leurs bavardages incessants, mais une demi-douzaine d’entre nous leur ont fait comprendre de se la boucler (un merci particulier à mon amie Andrée) ou de foutre le camp. Ce qu’ils ont fait. Bon débarras.
Groupe émérite
On a vu Taylor quelques fois lors de la dernière décennie et chaque fois, le plaisir est partagé. Mais il le semblait un peu plus, cette fois. C’est peut-être dû au bonheur que le principal intéressé avait à s’amuser avec sa bande de musiciens de renom. Là encore, je ne crois pas avoir jamais vu un artiste présenter ses musiciens au gré du spectacle et aller leur serrer la main un par un. Classe, disais-je.
On peut comprendre quand on a sous la main le batteur Steve Gadd (Paul Simon, Steely Dan, Eric Clapton), le percussionniste Luis Conte (Al Di Meola, Pat Metheney), et le saxophoniste Lou Marini, membre original des Blues Brothers. Marini a même eu droit à un Happy Birthday à la guitare de Taylor, pour ses 71 ans. Et, bien sûr, les voix qui accompagnent Taylor: Andrea Zonn (et son violon), Kate Makowitz et Arnold McCuller, qui vole le spectacle en finale de Shower The People.
Conditions idéales pour savourer durant la première partie la kyrielle de succès qui ont jalonné le parcours artistique de Taylor (Country Road, Copperline, Carolina In My Mind, Fire and Rain), toutes, interprétées et arrangées de magistrale manière, en dépit, d’un rhume qui accablait Taylor. Ça n’a pas paru.
Richesse ajoutée à ce concert : Taylor cause. Et très ouvent en français, d’ailleurs. Il possède une maîtrise de la langue française à faire honte à certains pure laine, ajouterais-je…
Le musicien évoque le passé et la mise en contexte des chansons. Bien sûr, on connaît l’histoire avec les Beatles, lui qui a été mis sous contrat sur le tout nouveau label des Beatles, Apple, en 1968. Mais c’était génial l’entendre parler de sa rencontre avec Peter Asher (de Peter and Gordon), de son «audition» devant Paul McCartney et George Harrison et du fait qu’il travaillait dans le même studio où le White Album a été enregistré. Il a aussi amplement parlé de Montréal, où est née l’inspiration en 2008 (lors d’un passage au Festival de jazz) pour la nouvelle chanson SnowTime.
L’écran, peu utilisé en première partie, a été mis à contribution en deuxième portion de spectacle, notamment avec Angels of Fenway, où Taylor parle de ses Red Sox chéris et de la malédiction du Bambino (Babe Ruth) qui a pris fin après 86 ans avec la victoire de Boston à la Série mondiale en 2004. De superbes images de baseball d’une autre époque ont défilé sur les écrans.
Sourires universels
En revanche, les photos étaient plus contemporaines quand on voyait des gens avec le sourire épanoui durant Your Smiling Face et l’incontournable You’ve Got A Friend. Dans ce dernier cas, des images sur les écrans verticaux de Taylor et de Carole King (l’auteur de la chanson) ont défilé à la fin de l’interprétation par-fai-te. Tout comme celle de Sweet Baby James, d’ailleurs.
Le type qui hurlait Steamroller Baby en début de soirée l’a eue : version hachurée et mordante qui contrastait avec l’ensemble du spectacle. Knock on Wood a permis aux spectateurs de danser et How Sweet it Is (To Be Loved By You) a fait l’unanimité.
Un spectacle parfait? Pas tout à fait. Car si on sait que Taylor met à sa main les interprétations des chansons des autres, parfois, cela cause problème. La relecture de Promised Land d’une facture louisianaise était fort réunie, mais peut-on apprécier cette chanson de Chuck Berry sans la rythmique effrénée qui soutient le périple en Amérique? Bon. Pas si grave. Mais quand tu as du mal – vraiment du mal – à repérer les mélodies d’origines de Everyday (Buddy Holly) et de Up On the Roof (Drifters), peut-être que les somptueux arrangements sont de trop.
Cela prouve uniquement que la perfection n’existe pas… mais que ce spectacle formidable d’une grande classe et digne d’une classe de maître s’en rapprochait drôlement.