Un groupe de Blancs venu de la ville des vents. Un groupe de Noirs dont les symboles sont la Terre, le vent et le feu. À bien égards, Chicago et Earth Wind and Fire s’adressaient à des publics forts différents, quand ils ont vu le jour, au tournant des années 1960 et 1970.
Par Philippe Rezzonico
Plus de 45 ans plus tard, le pop rock teinté d’effluves jazz de Chicago et la musique pop soul baignant dans le funk d’Earth Wind and Fire ont rejoint un même public universel et multiculturel.
Ce n’est pas d’hier que les deux collectifs s’offrent des tournées communes comme celle qui a fait escale au Centre Bell, vendredi soir. C’est la troisième fois en dix ans, d’où l’appellation 3.0 de cette nouvelle virée commune.
Et on pouvait mesurer l’expérience des tournées passées d’entrée de jeu : scène colossale à étages où chaque palier se veut également un écran, quoique moins géant que celui qui se dresse en arrière-plan. Batterie et percussions d’Earth Wind and Fire hissées sur le sommet de gauche (du point de vue des spectateurs) de la structure. Batterie et percussions de Chicago sises sur la cime de droite.
Trois plateaux qui nous amènent au plancher qui servent principalement au trio de cuivres d’Earth Wind and Fire (Bobby Burns, trompette; Reggie Young, trombone; Gary Bias, saxophone), où à Robert Lamm, durant le set de Chicago, quand ce n’est pas le bassiste d’EWF, Verdine White, qui s’accapare tout l’espace.
Pour être franc, on ne savait trop où donner de la tête quand les deux groupes (21 musiciens et chanteurs au total) ont partagé un trio de chansons (Beginnings, In the Stone, Dialogue Part I & II) en ouverture. Une fois que le son a été ajusté, c’était un régal de voir les deux ensembles partager leurs titres comme si c’était les leurs.
Earth Wind and Fire a ensuite pris possession de la scène durant un peu d’une heure, deux ans après son passage à la salle Wilfrid-Pelletier. De l’héritage africain d’Africano à la bombe disco Boogie Wonderland, ce collectif a conservé sa force de frappe. En partie, parce que le chanteur principal Philip Bailey a conservé une puissance exceptionnelle qu’il met à profit durant Reasons.
Entre les ballades FM (After the Love Has Gone), les chansons interprétées avec des chorégraphies précises (Jupiter), un clin d’œil au légendaire Maurice White (la vidéo synchro avec Philip Bailey durant Serpentine Fire) et le doublé final torride coup de poing formé de Fantasy et Let’ Groove, on en a pris plein la gueule.
Après seulement dix minutes d’entracte, les neuf membres de Chicago succèdent aux 12 d’EWF et se lancent dans une introduction musicale qui précède Questions 67 & 68.
Contrairement à Bailey, la voix de Robert Lamm, l’un des fondateurs du groupe, est plus mince, même si le compositeur de presque tous les plus grands tubes de Chicago n’est pas trop mis à contribution. Le claviériste Lou Pardini se charge du gros du travail et, là aussi, ça grince parfois. Ça va mieux avec le nouveau venu et bassiste Jeff Coffey, qui ressemble drôlement à l’acteur Owen Wilson.
Mais l’intérêt est ailleurs. Peut-être plus que sur disque, l’apport du trio de cuivres des fondateurs James Pankow (le tromboniste surexcité), Lee Loughnane (le trompettiste qui chante encore fort bien Colour My World) et Walter Parazaider (l’excellent saxophoniste de 71 ans qui en parait 58…) est ce qui rend un concert de Chicago délectable. Particulièrement évident durant Make Me Smile, I’m A Man – leur reprise vitaminée du Spencer Davis Group qui a droit à un duel batterie-percussions) et pendant la merveilleuse Saturday in the Park.
Sinon, Chicago peut obtenir un coup de main de l’invité torontois Neil Donnell qui vient chanter You’re The Inspiration avec une voix que Lamm n’a plus. Grosse ovation.
Seulement quatre minutes après la finale effervescente de Feelin’ Stronger Everyday de Chicago, on ramène les percussions supplémentaires d’Earth Wind and Fire à l’avant-scène et les 21 musiciens se lancent dans une version explosive de September.
Durant une demi-heure, les deux groupes alternent leurs succès respectifs ensemble dans quelque chose qui ressemblait à de la magie pure. Ensemble, comme dans partage total. Pardini et Coffrey chantent des couplets des chansons d’EWF (September, Sing A Song, Shining Star), Bailey, Ralph Johnson et B. David Withworth) font de même avec celles de Chicago (Free, Does Anybody Really Know What Time It Is, 25 or 6 To 4).
À un moment, les six cuivres jamment ensemble à l’avant-scène, à un autre, tous les chanteurs des deux groupes font la file indienne dans un ballet joué maintes fois mais dont on ne sent aucune lassitude.
Ainsi combinées par les deux collectives, les chansons étaient magnifiées. Appuyées par les cuivres de Chicago, les chansons d’Earth Wind and Fire étaient plus pétaradantes que jamais. Avec les voix des chanteurs d’Earth Wind and Fire, les chansons de Chicago n’ont jamais semblé aussi proches de la soul. Et il fallait voir le plaisir de chaque musicien de jouer les titres à succès de l’autre band.
Aucun égo sur scène : des Blancs, des Noirs, de la musique inspirante et festive, une énergie débordante, une joie communicative et une passion peu commune. Une demi-heure de félicité totale où les 9, 352 spectateurs ont oublié leur nom, leur boulot et leurs soucis. Un moment de grâce comme on en voit rarement.
Ça valait la peine à la toute fin de représenter tout le monde, par petits groupes, selon les spécificités instrumentales (guitares, cuivres) et selon l’ancienneté, les membres fondateurs de chaque band bouclant la boucle. Et avec trois heures et quart non-stop de musique pour environ 100 $ le billet, ce fut le meilleur rapport qualité/prix de l’année.