L’existoire, essentiel disque de Richard Desjardins, a été couronné dimanche d’un Félix à l’ADISQ. La rentrée montréalaise, elle, avait lieu mercredi, au Club Soda. Par un curieux concours de circonstances, les nouvelles chansons de Desjardins m’étaient familières comme les anciennes. Mais jamais ne les avais-je entendues aussi richement parées.
Par Philippe Rezzonico
Il faut savoir que Richard, il fait dans la finition de haut niveau. Ses chansons aux textes poétiques ou décapants, il les rode et les rode encore avant de les graver sur disque. Il les taille et les peaufine à l’extrême. Et celles de L’existoire ont eu une vie bien avant la sortie du disque.
Un bon nombre d’entre elles ont été jouées au premier Show du cadenas des employés en lock-out du Journal de Montréal (janvier 2010), au spectacle bénéfice pour l’Organisation populaire pour les droits sociaux (octobre 2010), au spectacle des 100 ans du Devoir (novembre 2010) et au Coup de cœur francophone… en novembre 2011.
Mais, chaque fois, en mouture minimaliste : guitare-voix ou piano-voix. Pour le spectacle présenté au Club Soda en pré-ouverture du 26e Coup de cœur francophone, Desjardins s’est présenté avec le formidable groupe qui l’accompagne depuis des mois.
Un groupe du tonnerre
Richement parées, disais-je plus haut? Si j’ai bien vu, Desjardins, Claude Fradette, Karl Surprenant, Mélanie Auclair, Jean-Denis Levasseur et Tommy Gauthier ont utilisé l’arsenal musical suivant : guitares sèches et électrique, basse et contrebasse, ukulélé, banjo, violon, violoncelle, flûte à bec et traversière, trois saxophones différents, piano, harmonica, tambours et batterie. J’en oublie sûrement…
Dieu que ça magnifiait l’œuvre de Desjardins – l’ancienne et la récente – qui peut pourtant se tenir debout toute seule, comme une grande. Développement durable était festive comme on le l’avait jamais entendue, Chaude était la nuit était d’une intensité musicale remarquable avec le tambour métronome et le chant à cinq voix, tandis que L’existoire a subjugué la foule du Club Soda comme pas un.
L’homme-canon, alors que Desjardins prenait place au piano, était majorée de violon, de violoncelle et du travail de la contrebasse jouée à l’archet, alors que On m’a oublié a eu droit à une coloration de saxophone de Levasseur que n’aurait pas renié Branford Marsalis. C’est vous dire.
Desjardins a aussi fréquemment partagé le chant avec Mélanie Auclair qui faisait penser à Marie-Annick Lépine des Cowboys fringants, en passant du violoncelle au banjo. Non seulement les anciens titres étaient réarrangés, mais aussi les nouveaux. (Re) découverte totale!
Liberté de parole
Il n’y a que Avec l’amour de Jésus qui a été moins intéressante dans cette enveloppe sonore bonifiée que dans sa version épurée. C’est plutôt la mise en situation de la courte chanson qui aura retenu l’attention. Desjardins a crucifié la religion (pas nouveau) avec une violence inégalée (ça, c’était nouveau…).
Quand il lance : «Moi, je pense que les terrorists, au lieu de s’attaquer aux Twin Towers, auraient dû bombarder le Vatican », tu te dis que les blagues de « matantes » de Guillaume Wagner, c’est de la petite bière…
Il a aussi eu de durs mots à l’endroit de Stephen Harper, de loin sa tête de turc préférée. C’était peut-être juste mal avisé de revenir sur le PM au début de rappel, avec la mirifique Tu m’aimes-tu? qui s’en venait. Quand ça casse la magie qui s’est installée…
Mais des mots, enrobés de musique ou nus et crus, il y en a des centaines à savourer dans ce spectacle présenté au Club Soda jusqu’à dimanche soir. Et veuillez dire à Marjolaine Beauchamp, qui s’est acquitté de la première partie, d’enregistrer impérativement sa prestation de cinq monologues.
Maman depuis quatre jours (!), la slammeuse québécoise a offert des mots d’une puissance poétique remarquable et d’une rare lucidité. Ses tirades sur « La fille… » et « Les vieux » étaient percutantes. Pas été renversé comme ça depuis mon premier show de Grand Corps Malade.
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Richard Desjardins, au Club Soda du 1er au 4 novembre, pour le Coup de cœur francophone.