Chris Isaak: l’héritier

Chris Isaak et ses collègues: dextérité exemplaire et maîtrise totale des racines du rock. Photo Catherine Lefebvre.

Pour les femmes, Chris Isaak est le beau gosse qui se roulait dans le sable avec Helena Christensen dans le clip de Wicked Game. Pour les hommes, il est le type obsédé par la call girl qui crève l’écran de son vieux téléviseur dans un autre clip, celui de Baby Did A Bad Bad Thing. Mais pour les férus de musique, il est l’héritier.

Par Philippe Rezzonico

À l’instar d’un Brian Setzer avant lui, l’Américain a grandi en étant dopé à la musique des années 1950 et 1960, la zizique écoutée par son papa à la maison. Son œuvre personnelle est d’ailleurs un dérivé contemporain des racines musicales de cette époque. Et mardi soir au théâtre St-Denis, Isaak nous en a offert la pleine mesure.

Il fallait le voir entrer sur scène avec son habit bleu poudre serti de paillettes qu’un Buck Ovens aurait pu porter au Grand Ole Opry en 1959. Flanqué de son bassiste Rowland Salley et de son guitariste Hershel Yatovitz qui arboraient le noir des tireurs d’élite, Isaak a utilisé tous les trucs du métier pour séduire son auditoire qui ne demandait que ça.

Anecdote expliquant le « vol » d’un autobus de touristes coréens à Toronto pour se rendre à Montréal à cause des vols annulés par Sandy; descente au parterre et montée au balcon durant We’ve Got Tomorrow; insertion de « Montreal Days Montreal Nights » dans San Francisco Days… Tous les trucs, on vous dit.

Isaak a du métier et la gueule de l’emploi : carrure solide et front de boxeur, yeux perçants et dégaine à la Elvis, il peut vous faire des déplacements latéraux – presque – dignes de Chuck Berry dans Best I Ever Had ou tenir des finales de notes à l’infini, comme il l’a fait durant Wicked Game (magnifique), qu’il a interprétée comme si nous étions encore en 1989.

Rowland Salley, Chris Isaak et Hershel Yatovitz: Ça chauffe. Photo Catherine Lefebvre.

C’est néanmoins quand il a transformé la scène comme si nous étions dans les studios de la Memphis Recording Service, que les puristes ont versé dans le bonheur sans partage. Sur son album Beyond the Sun (2011), Isaak rend un vibrant hommage aux artistes ayant enregistré chez Sun Records.

Un hommage venant d’un artiste qui connaît par cœur les classiques, mêmes les plus obscurs. Isaak a beau pouvoir interpréter avec aisance les compositions des pionniers, il les livre sans les boursouffler, sans les magnifier outre mesure pour un public de 2012. Son énergie suffit amplement à leur rendre justice.

Johnny, Carl, Roy, Jerry Lee

Au menu, du Johnny Cash de légende (Ring of Fire), une Dixie Fried (Carl Perkins) vitaminée, du rarissime Jimmy Wages (Miss Pearl) et une Great Balls of Fire incendiaire, au sens propre, en raison du nuage de fumée – artificiel – qui sortait du piano, comme lorsque Jerry Lee Lewis mettait le feu à son instrument.

Isaak a même porté un complet surréaliste au rappel quand il a poursuivi l’incendie avec Pretty Woman (Orbison). Imaginez un complet en verre, similaire à une boule disco…

Chris, son favori, c’est néanmoins Elvis. Au point de faire un speech à teneur historique quand il lance le « They all wanted me ! », phrase qu’Elvis avait dite à sa mère après que les premiers fans aient tenté de lui arracher ses vêtements.

Cela dit, chanter Can’t Help Falling In Love à la perfection comme ça, ce n’est pas donné à tout le monde. On savait pas mal ce que Isaak allait nous interpréter, mais il a rajouté plein d’autres titres d’Elvis, même si certains remontent à la période RCA et non pas à celle de Sun. Aucune importance.

Rock n' Roll, vous dites? Photo Catherine Lefebvre.

Doin’ the Best I Can, It’s Now Or Never (sublime!), One Night of Sin (la première version de One Night qui n’a jamais été mise en marché du vivant d’Elvis), She’s Not You (wow!) et I Forgot To Remember To Forget (lumineuse) étaient au menu, certaines, même pas attendues par le band d’Isaak, mais tout le monde suivait le mouvement sans faille. Quand ça fait 27 ans que tout le monde joue ensemble…

À la limite, je suis prêt à admettre que le fan moyen de Chris Isaak était moins satisfait que moi. Mais ceux qui se disent que le beau Chris a peut-être sacrifié un ou deux de ses succès mardi soir, consolez-vous. Ce n’est pas tous les jours que l’histoire des pionniers du rock n’ roll défile sous nos yeux et dans nos oreilles comme ça.

Mais cela peut se produire un soir donné quand la vedette est au nombre du cercle restreint des héritiers.