En souvenir de Roger Ebert

Roger Ebert nous a quittés. Et avec lui, un pan phénoménal de l’histoire du journalisme en cinéma. Grand critique et historien de son art, il a laissé un legs incalculable par l’entremise de ses ouvrages, de ses textes et de sa fameuse marque de commerce : le pouce levé ou abaissé.

Par Philippe Rezzonico

Comme critiques, nous lui sommes tous redevables. Pour son expertise, son niveau de vocabulaire cinématographique et son irréprochable passion. Et aussi pour avoir su dire si un film était bon ou mauvais sans tenir compte s’il était financé par un grand studio ou un indépendant.

Comme des tas de Québécois, c’est par l’entremise de son émission télévisée avec Gene Siskel que je l’ai connu. On ne recevait pas beaucoup d’exemplaires du Chicago Sun Times au Québec dans les années 1980…

Je l’ai croisé et salué une seule fois, lors du Festival du film de Toronto, en 2009, alors qu’il était déjà grandement amoindri par les séquelles de son cancer. En dépit de sa condition physique, il était d’une parfaite lucidité. Et passionné comme jamais.

Voilà ce que j’avais écrit à l’époque sur Rue Frontenac. Je reproduis. Merci Monsieur Ebert.

Roger Ebert : critique jusqu’à la fin.

« La question vient de Monsieur Ebert », précise la présentatrice, avant d’adresser la question à Oprah Winfrey et à l’ensemble du groupe d’acteurs et de producteurs présents au point de presse de Precious, dimanche matin.

« Hein ? Ebert est ici ? », me dis-je. D’où j’étais placé dans la salle de conférence bondée de l’hôtel Four Seasons à Toronto, je ne pouvais voir que la dame, debout. Pourtant, les graves ennuis de santé du réputé critique sont bien connus.

En fait, on devrait plutôt parler de condition physique. Quand le point de presse a pris fin, j’ai repéré le vétéran, terriblement diminué et partiellement déformé par de multiples opérations à la gorge, pour venir à bout d’un cancer de la glande thyroïde diagnostiqué depuis 2002.

Portant constamment un genre de collet cervical, Roger Ebert, 67 ans, ne peut plus parler depuis quelques années, sauf s’il le fait avec un appareil sophistiqué. On lui a tellement enlevé de chair et d’organes dans cette région du corps que sa mâchoire pend littéralement dans le vide, comme s’il était tout droit sorti d’un film d’animation du genre Roger Rabbit. L’image, franchement, a de quoi donner des frissons.

Pourtant, il est toujours au poste. Si le cinéma est la passion d’une vie pour Roger Ebert, les critiquer est sa vie. Et surtout, un métier.

À une époque où quiconque ayant vu trois films dans la même année s’estime « critique », il est de ceux qui portent le titre avec le plus grand panache. Roger Ebert a commencé à faire de la critique pour le compte du Chicago Sun-Times en 1967 et il a animé dès les années 1970 l’émission Siskel & Ebert at the Movies, en compagnie de Gene Siskel, jusqu’au décès de ce dernier en 1999.

C’est à eux qu’on doit les fameuses appréciations avec les pouces levés ou baissés (thumbs up, thumbs down). Ebert et la succession de Siskel possèdent les droits d’auteurs de cette désormais marque de commerce.

L’émission s’est poursuivie en duo avec Richard Roeper sous un nouveau nom dès l’an 2000, mais Ebert a complètement disparu de l’écran en 2006. Depuis, celui qui fut le premier journaliste à remporter le prix Pulitzer dans la catégorie Critiques, livre occasionnellement son opinion au sein de son site Web.

Il pourrait demeurer chez lui, Monsieur Ebert. Mais il continue de vivre sa passion et de transmettre un héritage aux jeunes. Et il envoie un message à tous ceux qui pensent que n’importe qui peut critiquer n’importe quoi n’importe comment.

Être journaliste-critique au cinéma – ou dans d’autres sphères artistiques −, c’est un métier qui demande connaissances, notions historiques, expertise et vocabulaire précis afin de parler de plans fixes, de contre-plongées, de trame narrative, bref, de quelque chose de plus étoffé que « il y a des longueurs dans le film ».

Et dimanche, on a croisé un critique qui va remplir son mandat jusqu’au bout. Thumbs up.