FIJM 2014, l’album du jour (11): bouquet final!

Oh la divine surprise! Le dernier album de la Montréalaise d’adoption Christine Jensen a l’éclat d’un éblouissant feu d’artifice aux milles teintes. Idéal pour conclure en beauté le 35e FIJM.

Par François Vézina

Jensen et son magnifique Jazz Orchestra sont au Gesù, dimanche soir, pour y défendre Habitat, un album d’une grande richesse où abondent d’incroyables pépites.

À la tête d’un orchestre de 19 musiciens, la compositrice présente six morceaux de grande ampleur, fidèles miroirs de sa puissance d’évocation.

Jensen présente du grand cinéma. À la fois scénariste et metteuse en scène, elle crée de séduisantes lignes mélodiques appuyées par de solides arrangements. La dame joue avec les teintes, superpose les textures (ah! ces lignes de sax décalées sur Tumbledown!), et varie la densité. Ces somptueux crescendo font éclater la masse sonore comme un volcan s’arrachant des entrailles de la terre. Les partitions sont précises, l’arrimage entre les sections réglées au quart de tour.

Rien de tarabiscoté, certes, mais du grand art.

Christine Jensen raconte des histoires passionnantes, projetant de nouvelles lumières sur des événements récents, comme le terrible séisme en Haïti et le mouvement No More Idle, comme si pour elle, résidente de l’instantanéité, le rôle du temps présent était d’éclairer le passé. Pas l’inverse.

Elle jette aussi un regard animé sur la culture péruvienne, le métissage urbain montréalais et son propre passé.

A l’instar d’un Gil Evans ou d’une Maria Schneider, l’instrument de Jensen est son orchestre. Les arrangements ne sont pas de simples prétextes à solos. Le jeu collectif, marqué par de passionnantes conversations entre les diverses sections, est la raison d’être.

Mais en même temps, la chef ne bride pas ses musiciens. Chet Doxas est l’essentiel guide du voyage de Nishiyuu (*). Samuel Doucet est formidable d’intensité pendant Blue Yonder. Sans oublier ce John Roney, dont le solo semble signaler une auto stationnée en double sur le boulevard Saint-Laurent à la fermeture (Intersection).

Jensen est femme de dialogues. Les solos ne se transforment pas en batailles d’ego. On a plutôt droit à des captivantes conversations entre Christine et sa soeur Ingrid (Sweet Adelphi), Ingrid Jensen et Donny Kennedy (Treelines) ou encore Joel Miller et Jean-Nicolas Trottier (Tumbledown).

Après la publication de Treelines, en 2010, un album déjà bien salué par la critique, Christine Jensen confirme sa place dans la cour des grands chefs d’orchestre de notre époque. Si elle continue sur sa lancée, personne ne pourra l’en chasser.

Et puis, comme la musicienne ne cache pas ses racines montréalaises, comme la photo de la pochette où on la voit devant l’Habitat 67, il n’y a plus vraiment de raison de bouder son plaisir.

(*) Je ne peux pas m’empêcher de penser aux magnifiques compositions de Duke Ellington mettant en lumière un de ses solistes.

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Album du jour: Christine Jensen; Habitat

Étiquette: Justin Time

Enregistrement: mai 2013

Durée: 66:56

Musiciens: Christine Jensen (saxophone soprano), Donny Kennedy (saxophone alto et soprano, flûte traversière), Erik Hove (saxophone alto, flûte traversière), Joel Miller (saxophone ténor, clarinette), Chet Doxas (saxophone ténor, clarinette), Samuel Blais (saxophone baryton, clarinette), David Grott (trombone), Jean-Nicolas Trottier (trombone), Muhammad Abdul-Al-Khabyyr (trombone), Bob Ellis (trombone basse), Jean-Sébastien Vachon (trombone basse), Dave Martin (tuba, euphonium), Jocelyn Couture (trompette), Bill Mahar (trompette), Dave Mossing (trompette), Aron Doyle (trompette), Ingrid Jensen (trompette), John Roney (piano), Ken Bibace (guitare), Fraser Hollins (contrebasse), Richard Irwin (batterie), Dave Gossage (flûte amérindienne)