On la croirait venue d’un pays scandinave, question de look. Où peut-être d’un pays d’Europe de l’Est, en raison de son nom de famille. Emma Frank est pourtant une Américaine installée à Montréal qui propose un jazz vocal qui va bien plus loin que le simple intérêt lié au plaisir de l’interprétation.
Par Philippe Rezzonico
Samedi soir à L’Astral, on buvait ses paroles, on admirait la souplesse de sa voix et on se laissait transporter par la musique aérienne, sensible et riche de la jeune femme très bien entourée par son quartette.
Frank n’est pas de ces chanteuses à la voix autoritaire ou criarde, pas plus qu’elle n’est dotée d’une puissance remarquable. Sauf que cette dernière se sert de son organe vocal pour nous envelopper doucement ou, au contraire, tel un instrument, elle se fond dans les mélodies pour apporter une contribution atypique. Imaginez les vocalises ou les crescendos d’une Dolorès O’Riordan (The Cranberries), mais avec une remarquable fluidité, le tout, dénué d’aspérités.
In separation verse dans le spleen absolu, This Time nous présente la chanteuse avec une voix évanescente, tandis que It’s Not Ours a des relents folk bien sentis.
Musicalement, la contribution du trompettiste Simon Millerd s’avère exemplaire, tant du point de vue de la couleur qu’il apporte, qu’au plan de l’accompagnement rythmique. En fait, écouter Frank durant 50 minutes, c’est à la fois assister à un tour de chant et à un spectacle jazz qui semblent, parfois, deux entités distinctes, selon la chanson retenue.
Les offrandes demandent une écoute sérieuse tant leurs charpentes sont au-dessus de la moyenne. En revanche, si l’approche stylistique du groupe est digne de mention, le chant est parfois linéaire et quelque peu redondant.
Mais considérant le jeune âge de la dame, on peut affirmer que sa maîtrise ne va aller qu’en s’affinant dans les prochaines années.
Pas d’incendie intérieur
C’est, finalement, un peu l’impression contraire que j’avais la veille, au Club Soda, à l’écoute de Bebel Gilberto.
Elle a du charme, la fille de João Gilberto. Ça se voit d’emblée dans ses postures qui privilégient ses grands gestes larges ainsi que dans la couleur de sa robe. Elle sait être sensuelle, aussi, comme le sont les belles femmes qui ont choisi un métier où l’apparence et l’attitude sont de belles qualités ajoutées.

Bebel Gilberto a fait salle comble. Mais pour ce qui est de combler... Photo courtoisie FIJM/Victor Diaz Lamich
Sauf qu’à un moment donné, c’est la musique qui doit primer. Emma Frank a parfois des allures de statue de sel sur une scène, mais elle possède déjà un réel savoir-faire au plan vocal. Bebel? Franchement, j’ai encore des doutes après l’avoir vue durant une heure…
Disons, à priori, qu’il y a un évident clivage selon la langue d’expression que choisit la Brésilienne. J’ai beau ne pas piger un mot de portugais, au moins, ses interprétations dans cette langue sont plus convaincantes. En anglais, ça donne parfois l’impression d’entendre un Marseillais parler dans la langue de Shakespeare…
La musique qui enrobe ses chansons a beau être chaude, Bebel chante trop souvent en mode « variétés ». Par moments, on a même l’impression qu’elle récite plutôt qu’elle ne chante.
Les rythmes bossa permettent aux spectateurs de dodeliner de la tête et de bouger le bassin, certes, mais on ne sent pas d’incendie qui nous consomme, ne fut-ce que de l’intérieur. Dommage.
Au final, loin d’être tombé sous le charme par cette prestation somme tout tiède, je suis ressorti en me disant que je me serais probablement pointé à un autre spectacle si la dame ne portait le nom de famille de son célèbre père.