FIJM 2018: cuivres, cuivres, cuivres!

Dee Dee Bridgewater: en voix, en feu et en passion. Photo Victor Diaz Lamich-FIJM

Dee Dee Bridgewater: en voix, en feu et en passion. Photo Victor Diaz Lamich-FIJM

L’histoire s’est répétée des dizaines de fois au cours des ans. N’importe quelle soirée en couverture sur le site du Festival international de jazz de Montréal peut devenir une thématique.

Par Philippe Rezzonico

Vendredi, c’était l’Amérique planante de Ry Cooder, celle, incendiaire, de John Medeski et de Marc Ribot, et celle, dansante au possible, de Boulevards. Samedi, la dominante se voulait plus instrumentale, pourrait-on dire, en raison des prestations de Davina and the Vagabonds, de Dee Dee Bridgewater et du Spanish Harlem Orchestra.

Divine Davina

J’avais eu le temps d’entendre deux chansons en extérieur, jeudi soir, quand Davina and the Vagabonds se sont produits sous les étoiles, mais je ne m’attendais quand même pas à un tel choc au Théâtre Maisonneuve, en première partie de Dee Dee Bridgewater.

Comment vous résumer Davina? Imaginez une artiste qui a du coffre, des inflexions vocales similaires à Adele, un growl qui rappelle celui de Roy Orbison ou de Wanda Jackson et du chien comme Tami Neilson, qui pourrait être sa soeur.

Photo courtoisie FIJM

Photo courtoisie FIJM

Si Davina est pianiste, son trio (trompette, trombone, contrebasse) déménage sérieusement et il est capable de s’approprier tout le répertoire des années 1940, 1950 ou 1960 de Louis Jordan (Knock Me A Kiss), Fats Domino (Ain’t That A Shame), Etta James (At Last) et consorts, lui redonnant un souffle nouveau.

Davina et ses collègues ont aussi une approche similaire à celle des néo-groupes de rockabilly qui reprennent les classiques du passé tout en composant des chansons originales à la saveur d’antan qui tiennent bien la route.

Cela dit, la flexibilité de la voix de l’Américaine qui a fait référence aux Vikings (du Minnesota) durant son concert est remarquable. Durant une dizaine de minutes, elle s’est amusée à offrir des vocalises qui étaient reprisent à la note près par son tromboniste dont le son rappelait celui d’un bon vieux moteur près à rugir. Gros coup de cœur.

A l’entracte, quand elle signait des disques, je lui ai lancé qu’on allait la revoir l’an prochain en tête d’affiche en salle.

« Moi, juste d’être ici, je suis heureuse. Quel festival! »

-Vous êtes du Minnesota? Votre référence aux Vikings?

« Oui, je suis de Minneapolis, mais je suis une fan des Packers (de Green Bay). Il ne faudrait pas le dire. »

A Montréal, rien à craindre.

L’enfance de Dee Dee

Vingt minutes plus tard, Dee Dee Bridgewater a pris place pour nous présenter les pièces de son album de 2017 Memphis…Yes I’m Ready, hommage à sa ville natale, à son père et à son enfance.

Avec sa robe aux motifs de guépard (ou léopard?), ses lunettes soleil (« de prescription »), sa taille fine et sa fougue habituelle, la chanteuse de jazz, qui espère qu’on lui pardonnera ce « virage » vers un répertoire plus pop, a livré ses tripes avec le soutien d’un groupe qui connait le tabac. Quand l’explosion de cuivres de Soul Finger (The Bar-Kays) amorce le concert, tu comprends d’emblée que tu n’as pas affaire à des minets.

Dire que Dee Dee était particulièrement en feu serait une évidence. Comme elle le fait parfois, elle en met occasionnellement plus que ce que le client en demande. Les chansons immortelles qu’elle propose n’ont pas besoin de ça. A sa décharge, cette impression du début s’est graduellement dissipée pour faire place à de l’émotion pure.

Durant plus d’une heure et demie, Dee Dee et ses collègues ont interprété la sensuelle Yes I’m Ready (Barbara Mason), I Can’t Get Next To You (Barnett Strong) et Try A Little Tenderness (Otis Redding). Concrètement, ce concert aurait pu être un bon concert de reprises d’une grande artiste. Mais ce fut plus que ça.

Dee Dee a grandi à Memphis avec un père qui a enseigné la musique dans cette ville. Elle a connu Willie Mitchell, le patron du studio Royal Recorders, où elle a enregistré son album avec Bo, le fils de Willie.

Photo courtoisie FIJM-Victor Diaz Lamich

Photo courtoisie FIJM-Victor Diaz Lamich

Chaque introduction était ainsi une incursion dans l’enfance de Dee Dee qui écoutait toutes ses chansons, la nuit, à la station WDIA. Elle nous a parlé de ses idoles, de ses rencontres et de son amour pour la musique de cette ville.

« Quand j’enregistrais les chansons, j’espérais un signe pour valider mon idée de faire cet album. Nous étions en studio avec Bo en train de réécouter la piste de B-A-B-Y, le grand succès de Carla Thomas, la fille du légendaire Rufus Thomas (Walkin the Dog), quand la réceptionniste arrive en courant en me disant que quelqu’un voulait me voir tout de suite. C’était Carla Thomas. Nous l’avons installé en studio, elle a écouté ma version de sa chanson sans dire un mot, sans sourire, sans taper du pied. Puis, à la fin, elle a simplement levé son pouce (Dee Dee imite le geste). »

Entendre une immortelle après une telle mise en situation, ça change drôlement la perspective. Nous avons eu droit aussi à une Don’t Be Cruel métamorphosée, dégoulinant de notes de saxophone qui mouillaient le plancher. Elvis, fan devant l’éternel des musiques noires, s’il a entendu ça, a dû sourire de voir que sa chanson était revenue aux racines des musiques qu’il adorait.

L’incontournable The Thrill Is Gone était aussi de la partie. Normal. Dee Dee a chanté à l’enterrement de B.B. King. Le thrill et la passion y étaient, pas de doute là-dessus. Au rappel, une spectatrice a hurlé « Slow Boat To China ! », que Dee Dee a enregistrée il y a plus de 20 ans sur son album hommage à Ella Fitzgerald (Dear Ella).

Vraiment pas prévue au programme, Dee Dee a néanmoins interprété (I’d Like To Get You On A) Slow Boat To China, de mémoire, essentiellement a cappella – ses musiciens n’avaient pas prévu le coup -, face à un public qui a hurlé sa joie. Parlez-moi d’une artiste qui a ses admirateurs à cœur!

Le vrai rappel prévu, c’était Purple Rain. Bien sûr, Prince n’est pas lié à Memphis, mais Dee Dee a interprété la chanson avec une passion sans retenue, à l’image de ce concert qui fut bien supérieur aux attentes.

Irrésistible Spanish Harlem

Curieusement, je n’ai jamais été un grand amateur de la « musique du monde », ce qui est incompréhensible dans la mesure où j’adore le jazz instrumental, je suis fou des cuivres et j’adore les musiques dansantes.

Le Spanish Harlem Orchestra en voix et en cuivres. Photo courtoisie FIJM-Frédérique Ménard-Aubin

Le Spanish Harlem Orchestra en voix et en cuivres. Photo courtoisie FIJM-Frédérique Ménard-Aubin

Mais hier soir, dans l’étuve montréalaise de la Place des festivals – même après un orage qui avait abaissé le mercure -, j’ai raffolé de la prestation du Spanish Harlem Orchestra. Rythmes dansants, cuivres chauds, spectateurs dansants partout sur le site extérieur : ce concert a été la quintessence de ce que peut et de ce que doit être un spectacle sous les étoiles.

Était-ce la présence de deux amis très chers avec moi, le souffle caniculaire – j’adore la chaleur -, l’ambiance festive d’un samedi soir durant un weekend férié? Je ne saurais trop le dire. Mais outre le plaisir lié à la salsa, on a senti un courant d’amour universel parcourir le site jusqu’à minuit.

Oui, la musique, plus que jamais, rassemble. Et c’est encore plus vrai quand des nappes de cuivres chauds enrobent le tout.