FIJM 2014, l’album du jour (3): l’utopie de Danilo Pérez

Le dernier album de Danilo Pérez (en concert au théâtre Jean-Duceppe, samedi soir) est la célébration d’une histoire idéalisée de Panama vue comme un pont unissant les différentes cultures mondiales.

Par François Vézina

Il y a plus de 500 ans, des Espagnols traversaient l’isthme de Panama pour atteindre le Pacifique à la surprise de la population indigène. Perez transforme cette rencontre en acte fondateur d’une nouvelle civilisation qui intégrera au fils des siècles les cultures européenne, afro-américaine et caraïbe.

Projet fort ambitieux.

Heureusement, le talent du compositeur justifie son ambition. L’homme sait manier les différents ingrédients pour créer une musique dégageant une beauté quasi surnaturelle sachant garder ses ancrages.

Perez se confie le rôle principal. L’homme des amalgames. Le pianiste peut passer d’un jeu aux accents latins (Panama 500) à de folles envolées lyriques (The Canal Suite: Land of Hope) et à des passages inspirés d’Eric Satie (Abia Yala) avec une aisance remarquable.

Le musicien s’appuie sur ses deux trios pour l’accompagner chacun son tour: le sien propre – avec Street et Cruz – et, plus convaincant, le Children of the Light Trio – avec Blade et Patitucci, ses deux compagnons chez Wayne Shorter (ça tombe bien, ce sont ces deux-là qui accompagnent Perez à la Place des Arts).

Perez doit même parfois voler au secours de Ben Street quand celui confond discrétion et fadeur. Le pianiste fait intervenir sa main gauche pendant que sa main droite galope une folle chevauchée pour assurer la fondation de la création (Gratitude).

Les autres rôles sont bien distribués même si réserver le point de vue indigène aux percussionnistes et aux chanteurs-narrateurs peut sembler cliché. Le violoniste et la violoncelliste, eux, se partagent la vision des Blancs, non sans brio.

La conclusion peut sembler ambiguë, comme si, au fond de lui, Perez n’était pas dupe de sa propre utopie. Si les trois mouvements de The Canal Suite laissent converger ses différentes influences jusqu’au chaos de The Expedition, le récit finalement apaisé se termine par Panama Viejo, une chanson pleurant le Panama d’antan détruit par de «brutales attaques de pirates».*

Et nous pourrions croire que c’est presque en vain que le narrateur rappelle en conclusion – en langue kuna – l’importance de célébrer le multiculturalisme.

Outre son indéniable beauté formelle, la grande qualité de l’album est d’éviter le piège du didactisme. Perez nous raconte un récit, il ne nous récite pas une leçon. Qu’importe cette utopie, si celle-ci peut inspirer, au plan musical, donc de la réalité, une vraie réussite.

*A en croire le site Internet du pianiste.

P.S. Si certains regrettent de rater le passage du pianiste au FIJM, le site Internet de Perez annonce sa venue à l’Université McGill pour y accompagner des groupes de l’établissement, en novembre.

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L’Album du jour: Danilo Perez; Panama 500

Étiquette: Mark Avenue

Parution: 2014

Durée: 51:59

Musiciens: Danilo Perez (piano, percussion), Ben Street (contrebasse), John Patitucci (contrebasse, basse), Adam Cruz (batterie), Brian Blade (batterie), Alex Hargreaves (violon), Sachi Patitucci (violoncelle), Roman Diaz (percussion, voix), Rogerio Boccato (percussion), Milagros Blades (percussions), Ricaurte Villarreal (percussion), Jose Angel Colman (voix), Jose Antonio Hayans (voix)

FIJM : Danilo Pérezau théâtre Jean-Duceppe le samedi 28 juin, à 21h30.