
Les organisateurs des Francos de Montréal ne sont visiblement superstitieux. Donner le coup d’envoi de leur festival un vendredi 13… Et ils ont eu raison. Que des sourires ainsi que des moments rassembleurs et festifs pour l’occasion. Compte-rendu.
Par Philippe Rezzonico
Universel Cormier
Depuis la naissance des Francos, on a perdu le compte du nombre de fois où un collectif a rendu hommage à une vedette ou à un groupe majeur.
Vendredi, en ouverture de la 36e édition de l’événement montréalais, Louis-Jean Cormier a fait l’inverse. Tout seul, comme le grand qu’il est, il a salué des dizaines d’artistes de légendes de la francophonie d’ici et d’Europe.
C’est l’intention derrière le disque et le spectacle Les Entretoits. Tel un Félix ou un Brassens, Cormier n’avait pour autre instrument que sa guitare lors des 90 minutes durant lesquelles il a essentiellement réinterprété des classiques, des chansons moins connues et d’autres que nous n’étions pas supposés reconnaître, a-t-il précisé.

Il est vrai que le parti-pris guitare-voix est un couteau à double tranchant. En dépit des arrangements d’antan de toutes les compositions proposées par Cormier, il y avait moins de décalage avec l’excellente version De la chambre au salon d’Harmonium qu’avec l’étonnante Tu m’aimes-tu, de Richard Desjardins, dépouillée de son piano.
«Improbabilité», a souligné Cormier à de nombreuses reprises, en parlant de la teneur de son spectacle et du moment vécu avec les spectateurs. En effet, qu’elles étaient les chances d’entendre un jour le chanteur de Karkwa interpréter Montréal – 40, de Malajube? Remarquez que pour une fois, on a parfaitement compris les paroles…
Cormier s’est attaqué à une foule de monuments durant sa prestation qu’il estime encore être «en rodage.» Sa version de Dis, quand reviendras-tu?, de Barbara, aurait avantage à être offerte sur un tempo moins rapide. En revanche, la modification de rythme et de l’enveloppe sonore (country-western) qui a métamorphosée Ton amour a changé ma vie était du tonnerre. Imaginez la chanson-phare des Classels interprétée par Willie Lamothe. Belle relecture aussi de Tue-moi, même sans la voix puissante de Dan Bigras.
C’est quand même avec immortelles québécoises que sont Le tour de l’île (Félix), Le petit roi (Ferland) et Gros Pierre (Vigneault), ainsi qu’avec Ce monde sans issue (Miron) et ses propres compositions (Croire en rien, La photo) que Cormier était le plus dans son élément. Voix précise, dextérité impeccable sur le manche, intensité et fougue de l’artiste et qualité d’écoute remarquable du public qui buvait ses paroles.
Mais on sentait Cormier, dont les liaisons entre les chansons offertes à la troisième personne et les anecdotes personnelles étaient maîtrisées, s’offrait un plaisir coupable de mettre à sa main des titres fédérateurs comme Ce soir l’amour est dans tes yeux (Martine St-Clair) et Pour que tu m’aimes encore (Céline Dion). Quitte à sortir des sentiers battus, aussi bien sortir pour de bon de sa zone de confort.
«Jay Scott! Jay Scott!»
«Ça va revoler à soir en ta…». Jay Scott n’a pas laissé de place à l’ambiguïté quand il s’est pointé sur la grande scène de la place des Festivals à 21 heures. «Il va y avoir des surprises, de la magie, mais pas de pyrotechnie.»

Qu’à cela ne tienne, Scott avait les moyens de ses ambitions : un super groupe de musiciens qui portaient des chemises dignes des ateliers de mécanique des années 1960, une foule d’invités et des milliers de festivaliers qui reprenaient ses chansons à l’unisson.
C’était patent dès l’interprétation de T’étais où? et ça n’a pas dérougi par la suite. F.P.T.N (Fais pas ton niaiseux) a été une réussite avec la foule qui hurlait les paroles à la demande de Scott qui voulait s’assurer que «les gens qui vivent dans la tour à condos à 1,6 millions $» les entendent. Le principal intéressé a même entendu la marée humaine scander son nom à quelques reprises.
La présence des gars d’Alaclair Ensemble (Ça que c’était) a vitaminée la prestation qui était bien lancée, mais c’est la présence de Claude Bégin et l’interprétation de L’amour, en hommage à Karim Ouellet, qui a apporté la première grande dose d’émotion. Scott a aussi passé ses messages durant J’ai besoin d’un break en évoquant «les infirmières à boutte» et les «profs avec des classes de 35 élèves».

Masterpiece, avec Mike Clay, de Clay and Fiends, Grand frère, avec Souldia, Matusalem, avec Koriass, et un pot-pourri acoustique avec la dynamique Sara Dufour – magnifique interprétation de Numéro – ont été autant de moments charnières de cette prestation qui en contenait plusieurs.
En définitive, un formidable vendredi 13 pour amorcer les Francos.
À voir samedi
Pierre Lapointe, TNM, 20 h: Si vous n’avez pas vu au Gesù en première montréalaise Chansons démodées pour ceux qui ont le cœur abimé de Pierre Lapointe, il vous reste une chance de voir la version bonifiée aux Francos. C’est fabuleux. Sinon, il faudra voir Pierre dans d’autres villes du Québec et de l’Europe dans les prochains mois.
Lou-Adriane Cassidy, Scène Rogers, 21h : La dynamo Cassidy a tout cassé avec son nouveau spectacle cet hiver, au théâtre Beanfield (l’ancien Corona). C’était tellement bon, que je suis retournée la voir dans une version écoutée en mai au Festival Santa-Teresa. Samedi soir, elle a droit à la grande scène extérieure des Francos. Ne ratez surtout pas ça.