PARIS – Que peut-on faire après s’être offert le Stade de France ? On se souvient de ce qui nous a mené là. Et pour Indochine, ce fut l’album Paradize, lancé en 2002, qui symbolise cette renaissance. Renaissance soulignée cette semaine par l’entremise de deux concerts exclusifs au Zénith de Paris pour célébrer le 10e anniversaire de la parution du disque qui a relancé la carrière d’un groupe qui aura fait l’histoire. Rue Rezzonico a assisté au deuxième spectacle. Compte rendu d’une soirée unique.
Par Philippe Rezzonico
Une heure et demie d’attente dans le vent glacial et sous un mercure inférieur au point de congélation. Détail pour un Canadien errant fraîchement débarqué du Québec, mais situation exceptionnelle pour les Parisiens qui ont fait la queue sans sourcilier dès jeudi après-midi en vue de la deuxième performance d’Indochine au Zénith.
Sans sourciller et avec une abnégation qui suscite l’admiration. Ces concerts au Zénith, voyez-vous, étaient des « assis-debout », comme on dit là-bas. Admission générale, comme on dit chez nous. Qu’importe que le Zénith compte son lot de gradins, c’était premier arrivé, premier servi, pour les places. Dans un tel contexte, il y a toujours des fans purs et durs qui veulent être aux premières loges. Et une poignée d’entre eux ont campé à la belle étoile durant plus d’une journée pour être les premiers à franchir les guichets vers 18h30. Faut le faire.
Et il n’y avait pas que des Parisiens. Des fans de toute la France et de l’Europe francophone se sont battus des semaines durant pour mettre la main sur les billets les plus courus à obtenir de ce début d’année 2012. Deux salles combles au Zénith (6293 places), c’est moins qu’un Centre Bell. Rareté, les amis… Des copains de Lille avaient avalé plus de 200 kilomètres d’asphalte pour être là.
Remarquez, le Zénith, au chapitre de la proximité, c’est pas mal comme être au théâtre du Centre Bell. Entrés parmi le premier tiers des spectateurs, nous nous sommes retrouvés à environ à 15 mètres de la scène, sans trop de bousculade, hormis un sérieux bouchon dans le dernier entonnoir à l’extérieur avant le passage de l’ultime grille. Note pour les nostalgiques : le type de la sécurité portait une casquette… des Expos de Montréal…J’ai pensé lui expliquer qu’ils étaient disparus depuis plus de 15 ans.
Rayon gastronomie locale, on n’a pas à choisir entre pizza et hot-dog au Zénith. Pizza il y a, mais la présence du vendeur au parterre – on dit en fosse, en Europe – avec ses baguettes jambon-fromage de 12 pouces vendues pour 4 Euros, c’est pas loin d’être le bonheur, ça.
Back to the Future
Connais pas la jolie DJ blonde qui s’était installée dans la partie supérieure du Zénith pour assurer la première partie, mais le concept était sympa : à une ou deux exceptions près, elle ne faisait jouer que des chansons parues en 2002 (White Stripes, Jet) entrecoupées d’extraits radio de l’époque, notamment quand Michel Drucker parle à Nicola Sirkis lors des Victoires.
Sirkis et ses boys se sont finalement pointés à 20h40 devant cette foule qui ne s’en pouvait plus et qui scandait « Indochine ! Indochine ! » depuis un moment déjà. Sans surprise, la déflagration fut totale quand la chute du rideau a dévoilé une grande croix asymétrique, identique à celle qui orne la pochette d’origine de Paradize, Indochine amorçant la soirée sur la pièce-titre.
Si quelques-uns d’entre vous ont vu les images du DVD d’Indochine au Stade de France en 2010, l’espace de quelques chansons, c’était ça. Comme si on venait de donner un coup de pied dans une ruche d’abeilles. Pendant un instant, je me suis dit que ce n’était pas une bonne idée de prendre des notes quand tout ce qui est humain sautille autour de toi, mais pas question de reculer. Trop plaisant.
Pour ce doublé d’exception, Indochine a joué en totalité toutes les chansons et pièces de Paradize, mais pas dans la séquence originale, ce qui s’est avéré un excellent choix éditorial. Pour le groupe, ça permettait de tout revisiter sans que le carcan soit trop rigide. Pour les fans, ça permettait d’être sur le qui-vive, ne sachant pas ce qui s’en venait. Du moins, pour ceux qui n’avaient pas été voir sur internet la sélection de chansons interprétées le premier soir.
Peu de variantes. Le Lac a pris la place de Little Dolls le deuxième soir, alors que Miss Parmount et Pink Water ont été rajoutées lors de la perfo de jeudi, haussant le compteur à 24 titres.
Délire, liesse et félicité
On a beau avoir eu droit à notre part de concerts incendiaires d’Indochine au Québec au cours des ans, voir un groupe dans sa cour, ça change drôlement la perspective. Imaginez une foule déjantée comme celle qui va voir les Stones à Londres, Springsteen au New Jersey et les Cowboys fringants à l’Assomption. Malade de même…
Paradize venait à peine de donner le coup d’envoi d’une performance de deux heures et 20 minutes que des milliers de confettis ont salué l’amorce de Like a Monster, durant laquelle Sirkis rappelle à ses ouailles : «Je suis votre créateur.».
Indochine a des tas de chansons aux hymnes fédérateurs et leur puissance est décuplée avec des fans qui connaissent par cœur toutes les paroles. Electrastar a fait vibrer l’enceinte, tout le monde a hurlé « Moi, je veux vivre, vivre, vivre encore plus fort » durant Marilyn, tandis que Punker a décapé la peinture avec ses guitares assourdissantes et sa batterie lourde. Situation similaire avec Dunkerque, dont la mélodie était soutenue par des « là-là-là » chantés à l’unisson.
Mais les chants qui viennent des tripes, ça frappe encore plus fort durant les ballades. Sans surprise, J’ai demandé à la lune a été rassembleuse comme pas une. Une ovation monstre a suivi l’offrande. Sirkis a commenté avec justesse en disant : « Merci. Cet album a changé nos vies à tous ».
Pour Le Grand secret, la foule ne s’est pas fait prier pour se substituer à Melissa Auf Der Maur – dont la voix se faisait quand même entendre sur bande. Autre grand moment de communion collective, cette livraison guitare-voix de Un singe en hiver, au troisième ou quatrième rappel.
Sirkis a noté que ce n’était pas un concert comme les autres. La soirée lui a permis de tirer quelques titres des boules à mites et de mettre la table pour la suite. Comateen n’avait jamais été jouée sur scène avant ces deux soirs, alors que nous avons eu droit à une toute nouvelle chanson qui figurera sur le prochain album d’Indochine, plus tard cette année ou l’an prochain.
Le moment célébré étant celui de Paradize, la sélection a reflété ce disque. Pas de nostalgie et très peu de vieux stock, donc : Pas de 3eme Sexe, de Fleurs pour Salinger, de Tzars ou d’Aventurier, mais une solide Miss Paramount et une version festive à souhait de 3 Nuits par semaine. Sirkis, qui affiche toujours sa taille de 30 ans malgré ses 52 ans bien sonnés, a quitté la scène pour grimper dans les gradins du Zénith, permettant aux spectateurs de le photographier de près.
Quand Pink Water a conclu les émissions, en sortant de l’enceinte, je me disais que 36 heures sans sommeil, 90 minutes d’attente dans le froid et quatre heures debout sur le parterre étaient amplement justifiées. Magique.