L’année 1969 fut celle où l’Homme posa le pied sur la lune, celle du bed-in de John Lennon et Yoko Ono à Montréal, ainsi que du festival de Woodstock. Mais ce fut aussi l’année prolifique où Creedence Clearwater Revival mit en marché trois albums nés de la plume de John Fogerty, l’éternel et increvable adolescent… de 69 ans.
Par Philippe Rezzonico
Vous ne me croyez pas? Vous auriez dû voir le début de ce spectacle, mercredi, au Centre Bell, où l’on voyait le Fogerty cuvée jeunesse chanter Born on the Bayou sur un écran de tissus qui, lorsqu’il s’est affaissé, a fait place au Fogerty cuvée 2014. Hormis la présence de la chemise à carreaux, on n’y voyait aucune différence.
Durant Up Around the Bend, Fogerty arpentait la scène de gauche à droite à une telle vitesse que les photographes massés dans la fosse qui voulaient prendre un gros plan de lui n’arrivaient pas à se déplacer assez vite pour le suivre. De calibre olympique, le monsieur.
Bien des artistes qui prennent de l’âge livrent des prestations très valables, mais il y a forcément un décalage avec le passé. Pas avec Fogerty. La voix forte estampillée sudiste résonne comme sur les vinyles d’antan, l’exubérance rivalise avec celle de musiciens trois fois plus jeunes que lui et les doigts sont encore d’une remarquable aisance sur les manches de ses innombrables guitares (la Fender télécaster, la Rickenbacker du genre Beatles, la Gibson à motif à carreaux et la fascinante guitare en forme de bâton de baseball utilisée pour Centerfield).
Depuis que l’on a vu Fogerty sans décor dans une Wilfrid-Pelletier transformée en brasier en 2007, nous savons tous qu’il n’a, dans les faits, nul besoin de décor. Pourtant, cette tournée 1969 nous en donne bien plus que lors des précédentes virées. Le film d’une quinzaine de minutes qui précède le spectacle met en contexte les révolutions musicales, sociales et technologiques de l’année 1969.
Durant la prestation, de courts intermèdes où Fogerty parle de sa passion musicale lui permettent de se rendre à la petite scène aménagée à l’autre bout de la patinoire où il livre en succession Hey Tonight, une version dynamitée de New Orleans (Gary U.S. Bonds), et une livraison de Lodi, partagée avec son fils Shane.
John qui cause
Et puis, Fogerty cause comme on ne l’a jamais vu le faire. Il nous explique que CCR a finalement offert son set de nuit à Woodstock (2h30 du matin) pour le seul type qui semblait les écouter dans cette marée d’un demi-million d’épaves humaines. Il nous explique l’origine de certaines de ses guitares et comment sont nés divers riffs légendaires. Il nous parle de sa reprise de Suzie Q, de Dale Hawkins (du tonnerre), de son épouse des 28 dernières années qui l’a inspirée à écrire sa première chanson d’amour (Joy of My life).
Il s’installe même au piano pour rendre hommage à Jerry Lee Lewis (Whole Lotta Shakin’ Going On) et Huey « piano » Smith (Rockin’ Pneumonia) avant d’interpréter une magnifique Long As I Can See the Light. De très belles variations en regard des passages précédents, le tout, soutenu par une production que Fogerty ne pouvait même pas imaginer en 1969.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est lorsque qu’il balance ses quelque 25 immortelles dans ce spectacle de 29 titres qu’il s’éclate autant que nous.
Tout le monde réagi à l’écoute des premières notes d’une Midnight Special de haut calibre, la ligne de guitare de Green River – sa chanson préférée – nous prend aux tripes comme jamais, le batteur Kenny Aronoff (ex-Mellencamp, ex-Melissa Ethridge) propulse dans l’espace une Travelin’ Band qui me rappelle mes années de patinage à roulettes de vitesse et tout le monde s’éclate avec une relecture de I Heard Through the Grapevine (Marvin Gaye) où le pianiste-claviériste Bob Malone se paie un solo de plus de cinq minutes qui dégouline de soul. Torride.
Pur rock n’ roll
Malgré tout, Fogerty a encore une vitesse supérieure en réserve. Comment résister à une succession de chefs-d’œuvre de rock comme Bad Moon Rising, Down On the Corner – avec la cloche qui sonne et les images des disques Stax, Sun et Chess qui défilent sur les écrans -, Old Man Down the Road et Fortunate Son.
Durant Old Man…, Fogerty invite son gars à prendre le solo et Shane – excellent guitariste dans la lignée de son paternel – tord sa guitare au point qu’il fait péter une corde. John prend le relais, mais il intime son gars de poursuivre. Durant trois, cinq, sept minutes…, le père et le fils s’échangent des solos incendiaires et malgré les quelques 45-50 ans d’écart, les deux hommes sautent à l’unisson. Du rock n’ roll totalement spontané, à l’état pur. Tout simplement grandiose.
La Fortunate Son, blindée, à laquelle nous avons eu droit, prenait un tout autre sens cette semaine. Son interprétation par Bruce Springsteen au Concert For Valor lors du jour du Souvenir, mardi, aux États-Unis, a été dénoncée par une certaine droite américaine…
Fogerty a répondu sur sa page Facebook qu’il a écrit cette chanson durant la guerre du Viet-Nam et que « son propos est mal interprétée et même usurpé par différentes factions à des fins partisanes. »
Petite sortie de deux minutes avant de voir John revenir chanter Have You Ever Seen de Rain interprétée à plein poumons par les 6286 spectateurs bien en voix. Il ne lui restait qu’à conclure avec l’immense Proud Mary, ce qu’il fit en beauté.
C’est la remise en marche de l’iPhone qui nous a fait réaliser que, finalement, étions en 2014 et non pas en 1969 comme nous l’avons souvent cru durant deux heures et demie.