J’étais rendu à Tapecul, la 14e chanson de Chacun dans son espace, quand j’ai rangé ma bagnole tout près du Lion d’Or, où Vincent Vallières allait livrer son spectacle « Face A » au Coup de cœur francophone. Et le trajet m’a rappelé à quel point j’avais aimé ce disque à sa parution, en 2003.
Par Philippe Rezzonico
Chanceux, j’allais pouvoir l’entendre intégralement dans quelques minutes – tout comme Le repère tranquille (2006) – en cette première de deux soirées thématiques où Vallières, Andre Papanicolaou, Michel-Oliver Gasse et Simon Blouin se proposaient d’offrir les quatre plus récents disques du sympathique Vincent, comme si on les écoutait sur un tourne-disque.
Plein à ras-bord, le Lion d’Or. Tu parles. Trop peu d’artistes de chez nous osent livrer un album d’un bout à l’autre. Quand l’un d’entre eux le fait, c’est l’événement, même si les disques en question n’ont pas 20 ou 30 ans de vécu.
Comme la mémoire est une faculté qui oublie, un narrateur nous rappelle les grands pires moments de l’année 2003 avant l’arrivée sur scène des musiciens, avec, en musique de fond, Also Sprach Zarathustra, le thème de 2001 : l’Odyssée de l’espace. Vincent qui s’offre une amorce comme Elvis dans les années 1970. No fear, comme disent les anglos…
Chacun dans son espace, c’est un peu le Born To Run de Vallières. Ou son Journée d’Amérique, tiens. Sur ce troisième disque, l’exubérance de la jeunesse côtoie le propos déjà assumé et des thèmes universels. C’est aussi, toutes proportions gardées, l’album le plus rock de son répertoire et celui qui l’a définitivement révélé.
Il fallait voir la bande s’escrimer à donner le meilleur d’elle-même sur le doublé coup d’envoi de Hier au soir et Le temps passe, cette dernière ayant droit à un couplet a cappella qui a fait de l’effet. Soirée imparfaite a noté Vallières, tant de chansons n’ayant pas été interprétées depuis longtemps.
Crainte inutile, tant les amateurs connaissaient toutes les chansons par cœur. S’il était paru à l’ère du vinyle, Chacun dans son espace aurait doublé ses chiffres de ventes tant les albums des fans auraient été abimés par les passages récurrents de l’aiguille…
Salusoleil, interprétée avec des lumières en éventail provenant de l’arrière-scène, reproduisait partiellement le logo de Sun Records. On parle ici de vieux vinyles. Manu a permis à Vallières d’expliquer la peine d’amour de son ancienne attachée de presse, tandis que les frénétiques O.K. on part et L’avenir est plus proche qu’avant ont balayé le Lion d’Or où tout le monde était debout. Plutôt rigolo, d’ailleurs, d’entendre en 2014 les références au jeu Atari, à Samantha Fox et aux vidéo clubs dans L’avenir est plus proche qu’avant.
La chanson-titre a rappelé bien des souvenirs à ce public encore jeune qui l’était encore plus en 2003. Nous n’avons toutefois pas eu de duo avec Mara Tremblay. On se souviendra que la version de Vallières de cette chanson composée par Éric Goulet était à l’origine un duo. En revanche, nous avons eu droit à Dumas pour une torride Blues Baby, quand Vallières jouait plutôt bien que mal du piano, un instrument qu’il n’avait pas touché depuis 12 ans.
Disque de jeunesse, Chacun dans son espace? Quand Vallières note qu’il a dû expliquer à son fils de 5 ans ce que veut dire l’expression « branlette sur l’internet » comprise dans Tom, on n’en doute pas une seconde.
Le repère pas si tranquille
En deuxième partie, après une narration « 2006 » sur la musique de Star Wars, Le repère tranquille offre une toute autre perspective. L’écriture de Vallières s’est affinée, les effluves folk et country sont bien plus présents, mais il y a des variations de tons dignes de montagnes russes.
Un quart de piasse, Le repère tranquille (superbe livraison individuelle avec la foule qui chante), Envie de rien faire, Fille de la Côte-Nord et l’émouvante Les parages de l’éternité, inspirée de Gérald Godin, confèrent à ce disque une ambiance digne de Nebraska (on poursuit les références à Springsteen qui est un peu à l’origine du concept présenté au Coup de cœur, tout comme Patrick Bruel…).
Si Le repère tranquille avait eu deux faces à l’origine, il n’y aurait eu que Je pars à pied et Café Lézard pour troubler une certaine quiétude sur la face A, pour déroger à un certain spleen ambiant. Or, Je n’attends plus rien et Tôt ou tard, placées sur le dernier tiers du disque, sont de véritables brûlots. Encore plus de la façon dont Vallières les a offertes jeudi.
La première, lancée à vive allure, fut une rampe de lancement pour Tôt ou tard, véritable char d’assaut hard/grunge, qui semblait sortie du catalogue de Nine Inch Nails. Et avec la galopante Le bord de l’eau placée à la suite, nous avons eu droit à une claque monumentale d’un quart d’heure.
On a pu reprendre notre souffle avec les derniers titres, en se disant à l’écoute touchante de On verra ben que ce spectacle d’un soir – comme celui de vendredi avec Le monde tourne fort et Fabriquer l’aube – pourrait faire l’objet d’une tournée à succès n’importe où au Québec.