Karkwa : le last call

Martin Lamontagne, Julien Sagot, François Lafontaine, Stéphane Bergeron et Louis-Jean Cormier ont mené Les chemins de verre au bout de la route. Photo d'archives. Courtoisie Rogerio Barbosa.

La scène était quelque peu amusante dans la salle de conférence du Allstream Center, le 26 mars dernier, à Toronto. Karkwa venait de remporter le Juno remis à l’album francophone par excellence pour Les chemins de verre. D’ordinaire, ce prix remis au gala hors d’ondes n’intéresse que les médias francophones du Québec, ou presque. Mais cette fois, la donne était différente.

Par Philippe Rezzonico

En septembre 2010, Karkwa avait remporté à la surprise générale le prix Polaris remis annuellement au meilleur disque canadien, indépendamment du genre musical. Pour l’une des rares fois depuis l’instauration des Junos il y a de cela quatre décennies, les médias de la Ville-Reine connaissaient, ne fut-ce que de nom, le groupe francophone qui venait de s’imposer.

Justement, les médias ne connaissaient Karkwa que de nom, hormis quelques journalistes spécialisés en musique. Après le petit discours de Louis-Jean Cormier dans son anglais approximatif, il fallait voir les médias généralistes de Toronto poser des questions qui auraient fait rigoler n’importe quel scribe débutant. Quand j’avais rejoint les boys dans le fond de la salle pour les besoins de mon entrevue individuelle, nous nous étions échangés quelques sourires entendus.

Les chemins de verre a officiellement été certifié disque d’or (40, 000 exemplaires) cette semaine. L’album a remporté un Polaris, un Juno et des Félix, un exploit jamais réussi par un groupe francophone. Et c’est sans aucun doute l’élément-clé du cycle créatif de plus de deux ans de Karkwa.

Avant cet album, personne ne connaissait véritablement le groupe hors du Québec, à part quelques marchés francophones éparpillés au Canada et ceux, plus importants, des pays d’Europe que Karkwa avait déjà visités. Depuis ce temps, le groupe a multiplié les spectacles dans le Canada anglais, aux Etats-Unis et même dans des pays d’Europe ou ni le français ni l’anglais ne sont la langue principale. Succès inattendu, faut avouer.

«On aurait jamais pu s’attendre à un tel succès, confirme Cormier. Le prix Polaris nous a ouvert les portes du Canada anglais. Et on a joué dans plein de villes où l’on n’avais jamais joué avant.»

L’accès mondial

Si le Polaris a permis l’ajout de spectacles supplémentaires dans des villes canadiennes, Karkwa avait déjà l’idée d’aller dans jouer dans d’autres pays. C’est quelques minutes après ce triomphe que Karkwa avait confirmé en primeur à l’auteur de ces lignes qu’une « mini-tournée mondiale » était prévue pour les mois à venir. Double succès, donc.

«Ça dépend de ce que tu entends par succès, nuance Cormier. Disons qu’au Danemark, on était pas sold-out (sourire). Mais à Chicago, il n’y a pas longtemps, c’était plein à craquer et on entendait du monde crier : « Marie tooo pleures !! » Après le show, on a été jaser avec le monde dans la salle et on a réalisé qu’il n’y avait pas un seul Québécois dans la place. C’était bien des Américains qui connaissaient nos chansons. »

Le batteur Stéphane Bergeron et le percussionniste Julien Sagot en action. Photo d'archives. Courtoisie Alain Décarie.

Comme Malajube l’avait fait de son côté, l’expérience d’aller jouer devant des publics autres que francophones s’est avérée formatrice. De là à penser que la tournée du prochain disque de Karkwa sera aussi étendue, il n’y a un pas qu’il ne faut peut-être pas franchir, tant en raison de l’argument économique que de la perspective familiale.

«Faire des spectacles dans ces villes-là, c’est du développement, note Cormier. Et ce n’est pas payant quand tu tiens compte des déplacements. Et puis, il y a les horaires. Quatre d’entre nous ont des enfants, maintenant.»

Le disque de spectacle

A quelques heures de l’ultime concert de la tournée Les chemins de verre, l’utilisation d’une chanson de Karkwa dans un film produit par Julia Roberts, le superbe clip réalisé pour Leucan et la controverse liée à la vente des droits de la chanson Le pyromane pour une publicité sont derrière le groupe.

Seules comptent les questions liées à l’enregistrement de l’album live. La performance de samedi qui aura lieu au Métropolis, sera enregistrée pour les besoins de ce disque à paraître en 2012.

«On devrait faire une douzaine de chansons dans le set principal et huit en rappel, précise le batteur Stéphane Bergeron. Et on va jouer quelques chansons qu’on a pas jouées depuis longtemps. »

Si cet album va ravir tous ceux qui ont pu mesurer l’impact de Karkwa sur scène, dites-vous qu’il n’aurait pu ne jamais voir le jour.

«C’est surtout Julien (Sagot) et moi qui avions envie de faire ce disque de spectacle, précise Cormier. Les autres n’étaient pas sûrs.»

«Je trouve qu’il se passe tellement quelque chose quand on est sur scène, ajoute Sagot. On a une telle énergie ! Il fallait le faire. »

Là où tout reste à décider pour le groupe, c’est de la forme que prendra ce témoignage sonore.

«Ça va être rester un document audio, mais pourrait prendre la forme d’un document artistique, note Cormier. On pourrait rajouter des inédites, des archives, des commentaires. Mais ça pourrait être aussi un disque live classique. On ne sait pas encore…»

Les projets solos

Officiellement, les membres de Karkwa vont être en sabbatique en 2012. Mais ça demeure très relatif. Vendredi soir au Métropolis, vous allez voir Stéphane Bergeron jouer avec Radio Radio, ce qui n’est pas nouveau. Et il va encore collaborer avec eux.

Le claviériste François Lafontaine, également réalisateur de son état, est en train de terminer le travail du prochain disque de Marie-Pier Arthur.

«J’ai donné le o.k. pour le master final avant d’arriver ici, a dit Lafontaine, mercredi, lors du point de presse de Karkwa au bar Sainte-Élisabeth. C’est différent du premier disque de Marie-Pier. On a été ailleurs. J’ai vraiment hâte que vous entendiez ça.»

Julien Sagot, pour sa part, va lancer un premier disque solo en début d’année 2012, sur la nouvelle étiquette du gérant de Karkwa, Sandy Boutin.

«C’est quelque chose qui explore mon côté plus obscur, note Sagot, visiblement très excité par ce projet dans lequel il va être le principal interprète. Mais il y a aussi un petit côté Gainsbourg. »

Cormier va lui aussi lancer un album solo en 2012, mais probablement vers la fin de l’année, puisque la production est prévue au printemps.

«Ça fait un bout de temps que je mijote ça. Ça pourrait ressembler à du Beach Boys, du Jim O’Rouke (ndlr : membre de Sonic Youth dans les années 2000) ou du Neil Young, un peu. »

On repassera donc pour la vraie de vraie sabbatique, mais faut croire que ces projets parallèles sont nécessaires pour les membres de Karkwa.

«Après plus de dix ans ensemble, il est essentiel que l’on fasse autre chose, assure Cormier. Chaque fois que j’ai été faire un projet de mon côté, ça a été bénéfique quand on a repris le travail avec Karkwa. Ça nous a tous permis d’évoluer au plan musical.»