Le Britannique Bryan Ferry se produit au théâtre St-Denis, lundi soir. Si vous avez déjà vos billets en mains pour le spectacle, on vous recommande fortement de ne pas arriver en retard afin de ne pas rater la première partie. Vous aurez ainsi l’occasion d’apprécier le talent de Judith Owen.
Par Philippe Rezzonico
Étonnamment, la pianiste d’origine galloise ne s’est jamais produite à Montréal en quelque 20 années de carrière. Et elle a bien failli ne pas être de la partie, car elle n’était pas de l’affiche lorsque le spectacle de Ferry à Montréal a été annoncé, il y a quelques mois. Curieusement, elle est familière avec notre ville.
« Je dois ma présence à Bryan qui aime ma musique et qui me soutient, dit-elle tout de go, au bout du fil. Je n’ai jamais joué à Montréal même si j’y suis déjà venue, notamment pour assister à des galas d’humour de Just For Laughs. En fait, je suis venue pour tout… sauf pour y jouer. »
Owen se pointe à Montréal dans la foulée de son plus récent disque, Somebody’s Child, où la ligne directrice de nombre de chansons se veut le lien viscéral entre les générations. Un album où la profondeur des textes fait jeu égal avec la richesse de l’instrumentation et où des expériences personnelles deviennent naturellement des propos universels.
« C’est important d’être universel, admet Owen, mais il y a une autre facette de moi. Il y a des chansons très socialement conscientisées. Tout est né, finalement, de la chanson titre. J’étais à New York en hiver quand j’ai croisé dans la rue cette magnifique jeune femme qui était enceinte au point d’exploser. Elle marchait pieds nus dans la neige et elle était vêtue de sacs à ordures.
« Je me suis dit que si ma vie avait être différente, j’aurais pu être cette femme. C’était à la fois fois magnifique et troublant. Ça nous rappelle comment la vie est fragile. Comment, lorsque nous sommes sur le bord du précipice, nous fuyons. »
La collectivité avant tout
Tout le nouveau disque d’Owen, enregistré avec des musiciens tels le légendaire bassiste Leland Sklar (James Taylor, Bonnie Rait), le guitariste Waddy Wachtel (Jackson Browne, Bryan Ferry) et le batteur Rusell Kunkel (Bob Dylan, Carole King, Carly Simon) regorge de chansons empreintes de passion, de compassion et d’inclusion.
« Dans le fond, c’est la base des chansons de l’album, renchéri Owen. Je dis des choses fort importantes. Il faut faire preuve d’humanité. Il faut avoir de la compassion… Et… non, je ne suis pas la chose la plus importante au monde. De nos jours, tout semble Immédiat pour certaines personnes. C’est « Moi, moi, moi… maintenant’’».
Une chanson touchante du Somebody’s Child se veut No More Goodbyes, inspirée du départ de son père quelques années plus tôt.
« Je devais écrire cette chanson, belle et tragique à la fois. Les gens me disent après les spectacles que leur père, leur mère, ont vécu la même chose et ils ont pleuré. Nous sommes tous très seuls au monde. On vit les mêmes emmerdes. »
Au diable les barrières
Arianne est une autre chanson à différents niveaux de lecture, cette dernière, ayant été inspirée par un passage de Owen devant le mur de Berlin.
« C’est un abus de pouvoir que de vouloir bâtir des murs entre les gens. C’est une nouvelle prison pour moi. Ça me fascine de voir des gens sans habiletés, sans talent, devenir des vedettes parce qu’on les voit à la télé. J’espère rehausser le niveau dans mes chansons avec âme et humour. L’art est plus important que jamais. La musique, la peinture, l’écriture, tout. »
Pour quelqu’un né outre-mer, Owen affiche de sérieuses influences américaines dans sa musique et son approche musicale. Mais il y a une bonne explication.
« Je suis une Galloise qui a grandi à Londres, dont le père était chanteur d’opéra. Mais à la maison, on écoutait de la musique noire, du gospel, du R&B. Ma mère écoutait du folk, Sinatra, des big band.
« Quand on partait en voiture le dimanche, mon père faisait jouer les chansons de James Taylor et de Carole King dans l’auto. C’est là que j’ai entendu pour la première fois mon bassiste actuel (rires). Et puis, mon disque précédent (Ebb & Flow), c’était une lettre d’amour à tous ces troubadours et à « my godness », Joni Mitchell. »
Owen passe désormais une bonne partie de sa vie à La Nouvelle-Orléans et, cette fois encore, on comprend que ce n’est pas un hasard.
« À La Nouvelle-Orléans, le piano est roi, il y a la meilleure nourriture au monde, l’architecture est magnifique et on vit la nuit… Cette ville, c’est un trésor américain. C’est là que j’écris le plus et que je suis la plus créative depuis des années. »
S’approprier les reprises
L’une des forces d’Owen est de s’approprier comme pas une des chansons du passé. Sa relecture de Smoke On the Water il y a une dizaine d’années l’a prouvé.
« Je ne crois pas au karaoké… Quand tu fais une reprise, tu la fais tienne. Je suis une interprète et les gens qui t’écoutent doivent croire que cette chanson est la tienne. Il faut que tu fasses une nouvelle interprétation, parce que tu ne feras jamais mieux que la version d’origine. »
Il y en a deux sur Somebody’s Child. Une relecture.. Que dis-je… Une métamorphose de Aquarius, du film Hair, et More Than This… de Roxy Music.
« J’étais en tournée avec Bryan et j’entendais cette chanson chaque soir avant de retourner à l’hôtel toute seule, en pensant à mon mari et mon chien au loin. C’est comme ça que j’ai décidé de la faire. Et tout comme Aquarius, on les a enregistrées à Londres, dans le studio de Bryan. »
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Judith Owen, en première partie de Bryan Ferry le lundi 3 avril au théâtre St-Denis.