Le festival des morts-vivants

MotleycrueFinalLes amateurs de musique de Montréal ont été gâtés rayon festivals, cet été, avec les FrancoFolies, le FIJM, Osheaga, Heavy Montréal et île Soniq, pour ne nommer que ceux-là. Lundi soir, ils l’ignoraient peut-être, mais il y en avait un autre au Centre Bell : le festival des morts-vivants.

Par Philippe Rezzonico

Le programme triple mettait en vedette Mötley Crüe, dans son ultime tournée, Alice Cooper, dans son éternel cirque théâtral, et The Cringe.

Ce dernier est, certes, un groupe contemporain new-yorkais, mais il a néanmoins trouvé le moyen de faire un clin d’œil à Black Sabbath en liant Paranoïd à sa propre Big Trouble In God et il a repris le classique de Thin Lizzy, Jailbreak, durant sa courte prestation. Rayon morts-vivants, le ton était donné.

Bien sûr, il y a bien longtemps qu’Alice Cooper ne fait plus peur à personne sur une scène, mais le maître du rock épouvante des années 1970 était dans une forme… à faire peur, à 67 ans.

Entrée sur une narration de Vincent Price – le maître de l’épouvante au cinéma – qui précède l’entrée avec Black Widow, cravache, épée et liasses de faux billets (Billion Dollar Babes) béquille (I’m Eighteen), faux colliers de diamants (Dirty Diamonds), serpent et fouet (Go to Hell)… Chaque chanson d’Alice Cooper est un tableau aussi théâtral que musical.

Et quand il revêt sa camisole de force, qu’on le passe à la guillotine ou qu’il renaît dans la peau du monstre – format géant – de Frankenstein (Feed My Frankenstein), Alice Cooper est à son mieux. Il ne manquait que le cercueil, hier soir….

Sauf que l’enrobage – contrairement à Kiss, disons – n’est pas un trompe-l’œil. Cooper a encore une voix puissante et il nous a semblé encore en meilleure forme que lors de ses précédents passages au théâtre St-Denis durant les années 2000. Il avait une réelle aisance dans le geste, doublée d’une énergie indéniable.

Peut-être est aussi l’impression que l’on retient quand on le voit se produire avec son groupe chevronné qui connait le tabac et qui sait se renouveler, notamment avec la présence de la tornade blonde Nita Strauss qui fait jeu plus qu’égal à la guitare avec le vétéran Ryan Roxie.

Bien sûr, on aurait préféré entendre Elected à la place de Poison, cette dernière ressemblant plus que jamais à une chanson de Bon Jovi, mais quand Alice a bouclé 55 minutes de prestation avec School’s Out, peu de gens avaient à redire. Au fait, entendre School’s Out en été, ça prend tout son sens.

Explosif Mötley Crüe

Depuis au moins 15 ans, il y a quelques certitudes quand on assiste à un spectacle de Mötley Crüe : Tommy Lee va être performant à la batterie, Nikki Sixx va être efficace et poseur, Mick Mars va bouger à peine plus que… Bill Wyman. La variante, c’est la voix de Vince Neil.

Lundi, elle était nettement supérieure à ce que je m’attendais. On a vu… Pardon, on a entendu bien pire, ces dernières années. A-t-il repris du coffre parce qu’il a pris un peu de bide? Sais pas… En revanche, son timbre est moins mélodique qu’avant. Ce fut particulièrement évident durant Same Old Situation.

À moins que ce soit l’apport non négligeable des deux choristes et danseuses exceptionnelles du band. Assez bonnes pour être engagées sur-le-champ au sein des productions de Madonna ou Chez Parée. C’est selon. Gros duo de soutien, ici.

Remarquez, le soutien, il venait aussi des 10 358 spectateurs présents. Il fallait les entendre d’égosiller durant Wild Side, Primal Scream et autres Anarchy in the UK, petit salut aux Sex Pistols.

Je parlais de mort-vivants, plus haut… Qui s’attendait à entendre So long, Farewell (tirée de La mélodie du bonheur) en introduction à Girls Girls Girls. Les filles du capitaine Von Trapp et les blondes de Tommy et Nikki, même combat… Tout un contraste, quand même.

Contraste, aussi, avec la prestation d’Alice Cooper. Là où Alice y va d’une approche théâtrale, les Crüe font dans la démesure et la défonce : lance-flammes synchronisés avec la batterie (Shout at the Devil), « prisonniers» qui aspergent les spectateurs avec des fusils à eau (Motherfucker of the Year), pétards et explosions tonitruantes (durant le tiers des chansons proposées) et passerelles individuelles pour Neil et Sixx qui survolent le Centre Bell durant une version apocalyptique de Kickstart My Heart.

Rayon effet spéciaux, le clou demeure le solo de drum de Lee. Je déteste les solos de batterie… Mais comme tous les amateurs de Mötley Crüe le savent, l’intérêt, ici, c’est la manière. On a déjà vu Tommy Lee jouer de la batterie suspendu dans les airs, mais jamais avec une structure aussi élaborée (PS: en 2013, la batterie ne faisait qu’une boule sur elle-même, installée sur la scène), digne d’un parc d’animation.

Cet aller-retour au-dessus du parterre de l’amphithéâtre sur une plateforme à laquelle est arrimée la batterie, permet à Lee de jouer la tête de bas. Peu importe le nombre de fois que tu as vu ça, ça demeure renversant. C’est le mot…

Cela dit, c’était aussi bien trop long. Trop long comme pour le solo de guitare de Mars (Zzzzzzzzzz……..) qui n’apporte strictement rien à la prestation. Pas plus que le solo de Lee, direz-vous, mais dans son cas, l’aspect « spectacle » le justifie.

Je ne sais trop si mon ouïe a survécu aux salves de Live Wire ou Dr. Feelgood, mais le quatuor a bouclé la soirée tout en douceur, sur une petite scène, aménagée à l’autre bout de la patinoire où une dizaine de fans ont pu assister à la livraison de Home Sweet Home.

Il y avait quelque chose de touchant de voir ses mauvais garçons serrer la main d’amateurs qui les suivent depuis 35 ans. Même si ses amateurs, comme les autres, ont eu l’impression de (re)voir pas mal le même spectacle depuis plus de 20 ans…

Qui d’autre que Frank Sinatra lui-même (My Way), pour ramener tout le monde à la maison au terme de cette soirée de morts-vivants qui, à leur décharge, affichaient plutôt une belle forme.