Trente moments pour 30 ans (29) : Spectacle pour un homme – presque – seul (2004)

Gary U.S. Bonds/Photo promotionnelle

Gary U.S. Bonds/Photo promotionnelle

Quand on songe à la musique festive du début des années 1960, le nom de Gary U.S. Bonds vient d’emblée à l’esprit avec les Quarter To Three, New Orleans, School Is Out et autre Twist Twist Senora. Balayé comme tant d’autres par l’invasion britannique, Bonds s’était offert un joli retour au début des années 1980.

Par Philippe Rezzonico

Coproduit par Bruce Springsteen et Steven Van Zandt qui le vénèrent, l’album Dedication (1981) avait ramené Bonds à l’avant-plan avec la chanson-titre, l’excellente This Little Girl – écrite par Springsteen – et autres Jole Blon. On a de bons souvenirs d’un spectacle au défunt Club Soda à cette époque, d’ailleurs.

Retour éphémère, pourrait-on ajouter. Bonds avait disparu de mon radar jusqu’à une présence au Giants Stadium, lors du dernier spectacle de la tournée The Rising, en octobre 2003. Entendre Gary U.S. Bonds chanter Quarter To Three avec le E Street Band comme band d’appoint et un chœur de plus de 55 000 spectateurs, c’était la définition même du mot festif.

Pour le plaisir, voici un autre moment de partage commun de U.S. Bonds et de la bande à Springsteen, en 2012, au MetLife Stadium, celui-là.

On présume que Bonds a aimé cette ambiance en 2003, car il a mis en marché un album nommé Back In 20 l’année suivante. Sans surprise, la tournée ne passait pas par Montréal, mais à Toronto. Le spectacle du Club Soda étant vraiment trop loin dans mon esprit, je m’étais dit que j’allais aller voir Bonds à TO et écrire un papier sur le spectacle, histoire de rappeler son souvenir au public montréalais.

Gary US Bonds-BilletDonc, acte. Achat sur le web du billet pour ce spectacle prévu pour le samedi 18 septembre au Lee’s Palace, de la Ville Reine. En revanche, mon horaire étant serré à ce moment, ça impliquait une virée en bagnole le matin même.

Je n’avais pas réservé d’hôtel. Selon le degré de fatigue, j’allais peut-être revenir illico sur Montréal après le spectacle ou me prendre un hôtel dans la ville. Oui, oui… Douze heures de route aller-retour pour aller voir un spectacle qui nous tente, c’est de l’ordre du détail pour un amateur de musique.

En raison de nombreux chantiers de construction sur la 401, je me suis pointé à Toronto pratiquement à l’heure dite pour le spectacle, soit quelques minutes après 21 heures. Je récupère mon billet à la billetterie en me disant que je vais tomber sur l’artiste de première partie dont je n’ai même pas pris le soin de vérifier l’identité.

J’entre dans la salle bien plus petite que le défunt Spectrum, avec une scène centrale carrée et des tables et chaises aux trois autres points cardinaux qui, eux, rappellent le Club Soda de l’Avenue du Parc.

Finalement, il n’y a pas de première partie. Personne n’est sur scène. En fait, ce qui frappe nettement plus l’imaginaire, c’est qu’il n’y a personne… Ou presque. Je compte précisément 27 spectateurs, tous assis à gauche ou à droite de la scène. Quid?

Je vérifie auprès du personnel. On confirme qu’il n’y a pas de première partie et que Gary U.S. Bonds devrait être sur scène à 21h30. Sur scène? Il n’y a pas assez de spectateurs payants dans le club pour défrayer le loyer d’un soir, l’électricité, le salaire des deux employés du bar et celui du portier qui n’a rien d’autre à faire que de poireauter, seul, à l’entrée.

Pourtant, à 21h30, Gary U.S. Bonds arrive avec tout son groupe et lance une version furieuse de Murder in the First Degree. À ce moment, nous sommes 32 dans le club et je suis ab-so-lu-ment seul au parterre, à cinq pieds du micro.

Vous pensez qu’il y a problème? Pas pour U.S. Bonds. Les trois premières chansons sont livrées comme s’il était encore devant les 55 000 spectateurs du Giants Stadium l’année précédente. À fond. La voix un peu râpeuse tient encore la route, le groupe est solide et la trentaine de spectateurs hurle comme si nous étions quatre cents.

Après un quart d’heure, Bonds salue la foule, note qu’il y a peu de monde (euphémisme), mais que personne ne demandera de remboursement. Comme je suis le seul chrétien au parterre, il me pointe et me demande quel alcool je bois.

« Grand Marnier!? Personne n’a jamais bu de Grand Marnier à un de mes spectacles » (grand rire)

Quand il me demande d’où je viens (Montréal) et si je suis francophone, il dit comprendre ma sélection.

« Je n’ai pas de chanson liée à Montréal, mais comme tu es francophone, celle-là est pour toi ».

Et là, j’entends les premières mesures d’une New Orleans meurtrière à souhait. Durant une heure et 40 minutes, Bonds et ses potes ont joué tous les classiques des années 1960, tous ceux des années 1980 et une poignée de nouveaux titres. Professionnel jusqu’au bout des ongles. Tant d’artistes auraient annulé leur prestation. À la fin, nous étions une soixantaine à hurler comme des dingues.

Après quelques minutes en coulisses, Bonds et ses musiciens sont venus retrouver la dizaine de spectateurs demeurés sur les lieux. Pendant, une demi-heure, il nous a expliqué les raisons du vide à Toronto (pas de promotion du promoteur local. Bonds avait joué devant 400 spectateurs à Buffalo dans un club similaire trois jours plus tôt), et on a parlé de Bruce, de Stevie et de son passage au Giants Stadium.

« Tu étais au Giants Stadium!? Cool… Serveur, un Grand Marnier pour monsieur! »

J’ai poliment refusé, question de principe (je lui avais dit ce que je faisais dans la vie), et je n’ai, bien évidemment, pas pu justifier dans mon canard montréalais une critique d’un spectacle qui a attiré 65 personnes à Toronto.

Mais je me disais bien que j’allais en reparler un jour. C’est chose faite.

Trente moments pour 30 ans (29) : Spectacle pour un homme – presque – seul

Artiste : Gary U.S. Bonds

Date : 18 septembre 2004

Lieu : Lee’s Palace (Toronto)

30 – Bagarre au Spectrum (1993)

Les raisons derrière le Trente moments pour 30 ans