The Pursuit of Happiness dans les années 1990. Photo promotionnelle.

The Pursuit of Happiness. Cela ressemble bien plus à un slogan de croissance personnelle qu’à un nom de groupe de musique, il faut admettre. Et pourtant, c’était le cas. Contre toute attente, le souvenir lié à la bande à Moe Berg en est un plutôt violent.

Par Philippe Rezzonico

Cela n’a évidemment rien à voir avec les membres du groupe ni à leur musique. Avec des succès tels I’m An Adult Now, She’s So Young, Hard To Laugh et New Language, The Pursuit of Happiness était le prototype du jeune band pop-rock canadien né dans les années 1980 : de bonnes chansons mélodiques, un minimum de conscience sociale, mais rien de trop subversif.

Berg et la guitariste Kris Abbott étaient d’ailleurs tout à fait charmants en entrevue lors de leur passage à Montréal en 1993, avant le spectacle prévu au Spectrum. À l’époque, je partageais le travail à la chronique rock de La Presse canadienne avec le confrère et ami Philippe Zeller.

J’étais donc à la performance du groupe le soir même, quoique pas en couverture, avec un autre collègue et ami, Christian Lafrance, disparu du métier depuis longtemps. Comme c’était souvent le cas à l’époque, le spectacle était commandité par une marque de bière et une station de radio. Rien de bien nouveau en regard de ce qui se fait aujourd’hui…

Néanmoins, j’étais plutôt soulagé que ce soit Christian qui remporte la veste en denim décernée par tirage ce soir-là. Oui, on faisait tirer des vestes à 50 $ avant les shows dans ce temps-là…. Non seulement il était hors de question que je porte une veste tapissée du nom d’un quelconque commanditaire, mais ladite veste était nettement trop petite pour moi. Heureusement que j’avais donné le billet gagnant à Christian…

Après une première partie dont je ne garde aucun souvenir, The Pursuit of Happiness a amorcé un spectacle de fort bonne tenue. Les succès du groupe étaient déjà derrière eux, ce qui garantissait une prestation avec un nombre considérable de chansons connues de tous. On se fichait un peu des nouveaux titres de The Downward Road, album justifiait l’entrevue en après-midi.

Le stage diving

Fait à noter : si nous étions en plein cœur de la période grunge, c’était aussi la période de pointe du stage diving, quand les amateurs montaient sur la scène avant de se propulser dans la foule compacte pour littéralement surfer sur les spectateurs qui les portaient à bout de bras.

Rien de bien méchant, surtout que la plupart du temps, les fans n’emmerdaient jamais les artistes (comprendre, ils ne les touchaient pas). Mais en 1993, la technologie n’était pas celle d’aujourd’hui et produire un spectacle nécessitait parfois des kilomètres de fils de toutes sortes.

Après trois quarts d’heure de prestation, le ruban qui retenait les fils devant le micro de Berg avait été arraché plus souvent qu’à son tour. Un technicien de scène, chaque fois, se précipitait au pied du micro pour rapidement recoller le tout avant que le chanteur ne se prenne les pieds dedans.

Ledit technicien devait bien être à son cinquième ou sixième passage sur scène quand un énième fan est monté sur les planches, cette fois, à l’extrémité gauche (à droite, du point de vue de spectateur). Sans prévenir, l’employé technique, agenouillé, s’est redressé d’un bloc et s’est dirigé en courant vers le spectateur qu’il poussé sans ménagement au bas de la scène. Le hic, c’est qu’il n’a pas poussé le fan dans la foule, mais là où il n’y avait rien ni personne pour amortir sa chute. Un vrai vol plané et un atterrissage brutal sur le ciment.

La foire d’empoigne

Sidéré par le geste dangereux, un membre de la sécurité du Spectrum prend alors le technicien de scène par les épaules. J’étais trop loin pour comprendre ce qu’il disait, mais son regard était sans équivoque, du genre : « Non mais, tu es fou?! ».

Le gars du Spectrum n’a jamais eu le temps de finir sa phrase… Le technicien lui a décoché un spectaculaire crochet du droit digne de Rocky en plein visage. Sonné, l’employé de la sécurité s’est accroché à son agresseur, signal de départ d’une foire d’empoignade.

D’autres membres de la sécurité du Spectrum se sont précipités sur scène dans ce qui semblait être une scène de lutte filmée pour la WWF. C’est durant cette escarmouche collective que quelqu’un a accroché le fil du bassiste, le privant de son, et que les autres membres du groupe ont réalisé ce qu’il se passait. Tout ce que je décris s’est déroulé en moins d’une minute, mais soudainement, dans ce Spectrum où tout le monde était médusé, on entendait presque plus rien.

Les protagonistes ont repris leurs esprits en quelques instants, réalisant  le ridicule de la situation, et ils ont quitté la scène sans plus de casse quand tout le monde était encore éberlué. C’est à ce moment que Kris Abbott – placée la plus loin de l’escarmouche – s’est retournée vers la foule avec un sourire digne d’un personnage animé de Bugs Bunny. La petite guitariste a alors relancé à un rythme d’enfer la chanson (I’m An Adult Now?) qui venait d’être interrompue.

Le batteur se remet à frapper ses peaux de façon frénétique, le bassiste rebranche son fil et revient dans la danse. Retrouvant ses esprits, la foule se remet de nouveau à crier et Berg qui, visiblement a ressenti la même chose que tout le monde, dit…. non, pardon, il hurle : « THAT!… IS ROCK N’ ROLL !!! » En effet.

Ce moment était tellement surréaliste que je ne garde plus aucun souvenir de ce qui s’est passé par la suite, mais je revois dans mon esprit, aujourd’hui encore, cette scène de deux minutes comme elle était survenue la semaine dernière. Il semble que le spectateur qui a plongé sur le ciment s’en est tiré sans trop de casse, finalement.

Je n’avais jamais assisté à une bagarre sur scène durant une prestation avant cette soirée et j’en n’en ai jamais vue une depuis lors… Qui aurait cru que ça allait se produire lors du spectacle d’un groupe nommé The Pursuit of Happiness?

La quête du bonheur, en définitive, a parfois des voies impénétrables.

Trente moments pour 30 ans (30) : bagarre au Spectrum

Groupe : The Pursuit of Happiness

Date: 24 mars 1993

Lieu: Spectrum (Montréal)

Les raisons derrière le Trente moments pour 30 ans