Quand ils étaient des jeunes artistes, durant les années 1960, Daryl Hall et John Oates faisaient partie de groupes (The Temptones, The Masters) qui embrassaient les influences d’autres groupes qui enregistraient sur les étiquettes Atlantic, Motown et Hi Records.
Par Philippe Rezzonico
Cinquante ans après leurs premiers enregistrements (1966), près de 45 après les premières chansons gravées par Hall & Oates (1972) et avec leurs 70 printemps qui approchent, le duo a mis ses racines à l’avant-plan, mardi, au Centre Bell, pour leur retour à Montréal après dix ans d’absence.
Bien sûr, quand on compose avec un chanteur (Hall) de 69 ans et un guitariste (Oates) de 67 berges, c’est plus souvent chez le chanteur que les affres du temps sont mesurables. Je dis mesurable plutôt que visible, parce Daryl Hall a encore et toujours une gueule d’enfer et l’allure d’un type qui aurait à peine 60 ans. Mais au plan vocal, sa voix est plus rauque, son timbre est quelque peu altéré et certaines finales sont plus courtes.
Rien pour gâcher vraiment notre plaisir, d’autant plus que le monsieur a du métier. Il sait comment contourner les difficultés en changeant les clés d’origines, notamment sur Private Eyes. Mais on constate quand même la différence avec les dernières visites du band, au milieu des années 2000.
En revanche, le plaisir est décuplé quand on voit comment les deux hommes enrobent leurs succès d’antan en 2016. Avec six musiciens, les chansons qui ont fait la renommée du duo durant les années 1970 et 1980 possèdent un enrobage bien plus organique que sur les versions studios, surtout celles des années 1980.
Maneater en ouverture, par exemple. La pulsion était moins pop que sur sa version disque, les guitares étaient plus à l’avant-plan et le solo de saxophone de Charlie DeChant – qui l’avait immortalisé en studio en 1982 – était chaud à souhait.
D’aucune façon avait-on l’impression de les musiciens reniaient certains arrangements crées il y a trois décennies, mais dieu que Out of Touch avec sa portion instrumentale étirée et Say It Isn’t So avec ses trois guitares (Hall, Oates et Shane Teriot) étaient plus savoureuses ainsi.
Le groupe a ressorti de ses tiroirs Did It In a Minute, remisée depuis des années, et a fait un gros clin d’œil à ses influences en interprétant sa version de You’ve Lost That Lovin’ Feeling(1980), le classique des années 1960 des Rightgeous Brothers. Une rare chanson où Hall et Oates chantent les couplets en alternance.
C’était l’occasion de replonger à fond dans les années 1970. La version de Las Vegas Turnaround, tirée de Abandonned Luncheonette (1973), était digne de mention et s’est avérée une mise en bouche de choix pour « la chanson qui nous a permis de sortir de Philadelphie et de visiter des villes comme Montréal », a lancé Hall.
On avait compris que She’s Gone s’en venait. Un peu chargée au plan de l’instrumentation et soutenue par une basse trop lourde, la chanson a néanmoins été nappée d’un autre solo impeccable de DeChant, cette fois au saxophone soprano.
Les ponts de Sara Smile étaient du calibre de ceux que l’on entend dans les clubs de jazz new-yorkais, tard dans la nuit. Et la chanson était interprétée par une dizaine de jeunes (25-32 ans) deux rangées derrière moi, comme si le titre de 1975 en était un de leur génération. John Oates me disait en entrevue il y a quelques jours que des tas de jeunes assistaient aux spectacles du duo en 2016. Aucun doute là-dessus.
Les portions instrumentales durant Do What You Want, Be What You Are étaient de l’ordre de ceux du Révérend Al Green, période 1972. Ça dégoulinait de soul avec Hall aux claviers. Et le duel guitare/saxophone entre Tertio et Déchant a propulsé I Can’t Go For That (No Can Do) dans une autre dimension. Presque ceux du funk. Le – très – long solo de Déchant était brûlant et nous étions en mode jam avec les percussions. Quant à Oates, il est toujours aussi solide que par le passé et il dirige les opérations.
Durant les deux rappels, Rich Girl, You Make My Dreams, Kiss On My List et Private Eyes – durant laquelle les 5,574 spectateurs ont battu la mesure – ont évidemment fait l’unanimité. Du gros calibre. Pour certains, cela va de soi que 14 chansons et 95 minutes de spectacle, c’est un peu court pour le duo qui a logé le plus de chansons aux palmarès de l’histoire de la musique. Et ce, malgré 45 minutes de prestation de Mayer Hawthorne en première partie. Mais voilà. Les gars approchent 70 ans et la voix de Hall se fait plus mince.
N’empêche, Hall & Oates ont quand même offert leurs six # 1 aux palmarès et 5 autres chansons qui se sont hissées parmi le Top 10 du Billboard sur 14 chansons. Et dans une enveloppe sonore qui nous ramenait à leurs racines, bien plus qu’aux années 1980.
Je peux très, très bien vivre avec ça.