Que ce soit du temps de Simon and Garfunkel, où lors de ses décennies de travail en solo, Paul Simon a plongé dans les racines musicales de l’Americana, de l’Afrique, de la Louisiane et de l’Amérique du Sud.
Par Philippe Rezzonico
C’est un peu la visite de divers continents et de toutes les musiques que l’artiste de légende proposait aux spectateurs massés à la salle Wilfrid-Pelletier, mercredi soir. Un spectacle complexe au plan des arrangements, riche sur l’aspect musical, étonnant pour ce qui est de diverses relectures, mais où, en définitive, Paul Simon, paradoxe, s’est un peu effacé derrière tout ça.
Peut-être que cette impression est liée en partie à la qualité du son. Proof, The Boy in the Bubble (où la voix de Simon était pratiquement inaudible), et 50 Ways To Leave Your Lover, ont été particulièrement malmenées en ouverture. Nous étions à des années-lumière de la sonorité par-fai-te du dernier spectacle de Simon dans cette même salle, il y a dix ans, lors du Festival de jazz.
La pétarade de That Was Your Mother et de ses effluves zydeco était brouillonne mais néanmoins jouissive et éclatante, quand tous les instruments (batterie, percussions, guitares, cuivres, accordéon, planche à laver) ont été mis à contribution. Cela dit, cela a pris encore un certain temps avant que l’on distingue avec aisance tous les instruments.
Et les instruments ont été sollicités comme pas un dans ce spectacle, comme si Simon voulait coûte que coûte que ses anciennes chansons soient majorées au plan sonore. Je ne crois pas avoir entendu autant d’instruments à l’écoute de Me and Julio Down By the Schoolyard. Un peu surchargée, donc, mais l’essence était intacte, ce qui n’était pas le cas de Slip Slidin’ Away, jouée avec un tempo accéléré, dotée d’une introduction musclée et dont même la légendaire ligne mélodique a été altérée. J’ai failli hurler dans mon siège. Presque dénaturé, le classique.
Bref, d’une chanson à l’autre, j’étais étonné – et même comblé – de certaines relectures (Mother and Child Reunion, excellente), et parfois pas du tout (El Condor Pasa, seulement la portion instrumentale, vraiment?) Mention spéciale à The Obvious Child dont la rythmique était soutenue par le batteur, le percussionniste et trois tambours de volumes différents. Un régal rythmique. Tout le contraire de la nouvelle The Werewolf avec ses cris de loup et ses bruits d’oiseaux qui rappelaient Yma Sumac. Irritante au possible.
Simon, le musicien, déteste faire du sur-place. Et sa quête musicale est bien connue. Mais ça faisait quand même beaucoup de nouveautés et de relectures dans un généreux spectacle de deux heures et dix minutes.
Et il en était bien conscient. Toute la dernière demi-heure a été consacrée à des chansons archi-connues dont les modifications musicales n’était que d’ordre esthétiques. Bref, plaisir partagé avec les vivifiantes Diamonds on the Soles of Her Shoes et You Can Call Me Al, I Know What I Know, la nouvelle Wristband (dynamique, à défaut d’être vraiment intéressante) et Still Crazy After All These Years.
On le sait, aller voir un spectacle de Paul Simon n’est pas comme d’aller voir Simon & Garfunkel. Ça n’a jamais été le cas, d’ailleurs. Si Simon ne fait pas comme l’autre Paul, McCartney celui-là, dont la moitié des spectacles sont fourgués de chansons des Beatles, je me dis qu’il y a un minimum syndical.
Et avec uniquement Homeward Bound, The Boxer et une version belle à pleurer de The Sound of Silence (guitare-voix) en clôture, nous étions très déficitaires de son jeu à la guitare, subtil et délicat.
En définitive, Simon a démontré hier toute l’étendue de son talent fou de musicien (on le savait), de compositeur (chevronné), d’arrangeur (qui revitalise sa propre musique), de chef d’orchestre (il fallait le voir diriger ses collègues comme un maestro), d’artiste de scène (ses poses à la Elvis), ainsi que la diversité des influences de son répertoire qui se conjugue avec les rythmiques et les sonorités du monde. Mais il a un peu délaissé ce qui a fait sa légende.