Scotty Moore (1931-2016) : le premier guitariste du royaume

Scotty Moore, Elvis Presley et Bill Black en septembre 1954. Photo Scotty Moore.net

Scotty Moore, Elvis Presley et Bill Black en septembre 1954. Photo Scotty Moore.net

« Hit it! » le cri d’Elvis survient exactement une minute et 20 secondes après le début de Baby Let’s Play House et Scotty Moore enchaîne avec le deuxième pont instrumental de la chanson, le meilleur de tous ses solos de guitare, selon Keith Richards.

Par Philippe Rezzonico

Moore est mort mardi à l’âge de 84 ans, plus de 50 ans après le décès de son pote Bill Black (1965) et près de 40 après celui d’Elvis (1977). S’il fallait absolument résumer sa longue carrière avec le roi du rock n’ roll à un seul moment d’éternité, ce serait durant cette chanson, à mes yeux la meilleure de toutes celles d’Elvis durant son séjour chez Sun Records.

Dans le fond, ce n’est que justice. C’est Sam Phillips, le patron de la Memphis Recording Service, qui a proposé au jeune guitariste (22 ans) de contacter le chanteur encore plus jeune (19 ans) en 1954. Phillips voulait voir ce qu’Elvis pouvait faire, mais il n’avait pas de groupe attitré, contrairement à Moore qui jouait au sein des Starlite Wranglers avec Black.

Moore, dont l’influence principale se voulait celle de Chet Atkins, voulait vraiment percer et travailler dans l’industrie de la musique et il a contacté Elvis à la demande de Sam. Contrairement à une certaine croyance, la première rencontre entre les trois hommes eut lieu à la maison de Scotty, un dimanche (4 juillet), puisque tout le monde avait un boulot de jour dans la semaine. Ce n’est que le lendemain, cette fois dans les studios de Sun, qu’eut lieu cet instant magique qui mena à la création de That’s All Right. Le reste, comme on dit, est passé à l’Histoire avec un grand H.

Celle de Moore demeura à jamais liée à Elvis. Avec sa Gibson ES-295, Winfield Scott Moore, troisième du nom, avait le jeu et les tonalités idéales pour accompagner le jeune Presley qui mélangeait  des tas de genres de musique de l’époque, afin de les transformer en quelque chose de frais et d’inédit.

Picking précis pour le pont instrumental de Good Rockin’ Tonight, à l’origine une chanson R&B de Roy Brown, riff vif pour celui de Blue Moon of Kentucky, reprise de Bill Monroe, et touche presque délicate pour I Don’t Care if The Sun Don’t Shine, qui a pourtant un tempo frénétique.

Si Moore était champion pour les riffs galopants comme ceux de Mystery Train, il savait les hachurer, comme pour Milkow Blues Boogie. En fait, le guitariste avait une capacité d’improvisation considérable pour l’époque.

Réécoutez le formidable pont musical de Too Much, des débuts de la période RCA (1956) d’Elvis. De son propre aveu, Moore n’a jamais été capable de le rejouer exactement à la note près par la suite en spectacle. Encore aujourd’hui,  60 ans après l’enregistrement, ce solo a conservé tout son éclat.

Bien sûr, quand on parle des moments légendaires de Moore, il y a, évidemment, l’intro synchronisé avec la batterie de Jailhouse Rock, le solo furieux avec une montée toute en puissance de Hound Dog et la ligne de guitare en ouverture de Don’t Be Cruel. Un pur régal.

Sauf que la présence de Moore était tout autant omniprésente dans les ballades d’Elvis. Écoutez de nouveau les mises en bouche de Anyway You Want Me et I Want You, I Need You I Love You. Du bonbon. À cette époque, Moore et Black faisaient alors équipe avec D.J. Fontana, le premier batteur-mitraillette d’Elvis (écoutez Hound Dog). Sans oublier, bien sûr, sa présence au Comeback Special de 1968, cette fois, avec sa Gibson Super 400.

Comment résumer autrement l’apport de Moore à la musique populaire? John Lennon a déjà dit que sans Elvis, les Beatles n’auraient pas vu le jour. Et bien, sans Scotty Moore, ce sont les Rolling Stones tel qu’on les connaît qui n’auraient peut-être jamais existé.

« Tout le monde voulait être Elvis, a déclaré Keith Richards, qui doit son désir à faire de la musique à l’écoute de la guitare de Moore dans Heartbreak Hotel. Moi, je voulais être Scotty Moore. »

Tout est dit.