Si on se fie au dictionnaire Merriam-Webster, «one-upmanship» est le comportement d’une personne cherchant par divers moyens de prouver sa supériorité sur les autres. Mais alors, l’excellent Mal Waldron, il ne serait pas un brin frivole, par hasard ?
Par François Vézina
Dépasser les autres, soit. Mais cela nécessite aussi savoir et pouvoir se surpasser.
Ah! Le dépassement de soi: voilà où pourrait résider la clé de la réussite de cet admirable album.
Pour l’occasion, Waldron a su bien s’entourer, invitant notamment un complice de longue date, l’inimitable Steve Lacy, à se joindre sa formation.
Entre les deux hommes, il y a un appel à l’émulation. Cette envie d’épater son copain est contagieuse. Elle inspire les confrères de Waldron et de Lacy tout au long de l’album.
Mal Waldron est un pianiste singulier, unique, tortueux sans être dénué de tendresse. Il est aussi un compositeur fort talentueux, comme le démontre les trois pièces de l’album.
La pièce-titre surprend par ses ruptures de tons. Un début tumultueux précède le solo quasi pudique de Lacy, joliment éclairé par une section rythmique en osmose. Par contraste, Manfred Schoof explose le tempo par des courts intervalles joués à grande vélocité.
La superbe The Seagulls of Kristiansund impose de nouvelles couleurs, un nouveau climat. Après avoir présenté une intro inquiétante, Waldron se montre plus apaisé, dressant, avec un brin de nostalgie, un portrait de la côte norvégienne. Lacy prouve ses qualités d’improvisateur hors du commun, parvenant à évoquer les goélands peuplant les lieux.
Coltrane et Monk, même combat
L’envoûtante Hooray for Herbie salue la mémoire du pianiste et compositeur de Lady Sings the Blues, Herbie Nichols (et non Herbie Hancock comme je le croyais quand j’ai entendu ce morceau, la première fois).
Waldron y montre ses diverses facettes: linéaire et souple en solo, percussif et foisonnant en accompagnement, sachant maintenir l’intensité de son jeu. Sa façon de combiner adroitement les influences de Monk et de Coltrane est captivante et hypnotisante. Elle inspire Lacy et Schoof en les lançant sur les chemins de l’émulation.
Ce disque est le sommet de la collaboration entre Waldron et la petite maison de disque allemande Enja.
Petit bémol: l’édition numérique de l’album n’est pas exempte de défauts.
Pour une raison inconnue, Enja a décidé d’ajouter trois (magnifiques au demeurant) pièces en solo, qui, à l’ère du vinyle, étaient sorties sur l’album Moods mais pas sur sa réédition numérique. Ah les joies de la discographie ! (bis)
Pis, au lieu de les placer à la fin du disque, elle les fait alterner avec les morceaux du disque original, oubliant du même coup l’équilibre initial qui contribuait à la beauté parfois rugueuse d’One-Upmanship.
Mais bon, comme on peut programmer son lecteur, on ne se privera quand même pas du grand plaisir de l’écoute de cet album, grand parmi les grands.
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Le top-50 de Frank (15): Mal Waldron, One-Upmanship
Étiquette: Enja
Enregistrement: 12 février 1977
Durée: 42:11
Musiciens: Mal Waldron (piano), Steve Lacy (saxophone soprano), Manfred Schoff (trompette), Jimmy Woode (contrebasse), Makaya Ntshoko (batterie).