Échappé d’une Amérique inexistante car imaginaire, un Indien, un être mythique ivre de liberté, assoiffé de rencontres inédites et soucieux de plaisirs partagés parcourt le monde pour mieux l’apprivoiser. Cet album est le récit inspiré mais sans concession ni préjugé de ce voyage initiatique, source d’une nouvelle et belle sagesse.
Par François Vézina
An Indian’s Week est un disque charnière dans la carrière d’Henri Texier, l’homme à la contrebasse chantante.
Sur les albums précédents, Texier comptait sur des amis musiciens chevronnés tels Joe Lovano, Steve Swallow ou John Abercrombie. Là, place à des nouveaux venus!
Ouvert aux influences diverses, Texier concocte un puissant cocktail. A ses côtés, un pianiste serbe à l’aube du quart de siècle, un batteur franco-malgache trentenaire et un tromboniste américain quadragénaire. A 48 ans, le contrebassiste complète dignement la pyramide des âges.
Le conflit des générations ? Texier et ses amis l’ignorent superbement. Ces musiciens semblent jouer ensemble depuis la nuit des temps tant sont grandes leur entente et leur cohésion.
Quand le jazz s’enrichit d’autres cultures, il peut toucher au sublime. Le quatuor – parfois renforcé par la présence d’autres musiciens épris de liberté, Michel Portal et Louis Sclavis – le prouve tout au long de l’album.
Mélodistes avertis
Issus d’horizons divers, ces musiciens partagent plusieurs belles qualités. Inventifs, attentifs, énergiques, Texier et ses compagnons sont aussi tous d’excellents mélodistes épris de rythmes emballés.
Entrecoupés de courts entractes – pour évoquer les jours de la semaine – les thèmes enchanteurs succèdent aux airs captivants.
L’auditeur est prévenu dès le départ. A l’instar des musiciens, il peut se laisser emporter entre la Vénétie et la Bretagne par le bandonéon de Portal (Laguna Veneta, Laguna Laïta), s’émouvoir au souvenir joliment évoqué de l’actrice Simone Signoret, s’enivrer des effluves méditerranéennes (Mâshala) et se baigner au bruit et à la fureur de l’Amazonie (Amazone Blues).
Texier puise aussi son inspiration au cœur de sa conscience sociale, inventant des climats propices aux solos et aux conversations passionnées, unissant sous un même titre les destins des Indiens d’Amérique et des disparus argentins à l’époque de la dictature (Indians/Desaparecido) ou dénonçant la tuerie d’animaux sauvages (Don’t Buy Ivory, Anymore).
Passionnante découverte: le jazz, en refusant de s’encager entre l’Atlantique et le Pacifique, est un puissant fédérateur. Finalement, tout être épris de liberté, quel que soit son origine, est un Indien. Puissance du mythe.
Quand ces musiciens, rassemblés par un patron fort respectueux de chaque individualité, rendent hommage à Sonny Rollins, explorateur des sons et des rythmes caraïbes, en interprétant une de ses pièces, The Bridge, la bien nommée, ce n’est que justice.
S’unir, certes, mais pas à n’importe quel prix.
« Il doit être question de plaisir et surtout pas de frime », affirmait encore tout récemment Henri Texier (*). C’est le cas aujourd’hui, c’était le cas en 1993. La vie évolue, le jazz itou mais l’amour pour cet album, lui, reste le même.
(*) Lors d’une entrevue accordée à la revue La Terrasse, no 216, janvier 2013.
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Le top-50 de Frank (11): Henri Texier, An Indian’s Week
Étiquette: Label Bleu
Enregistrement: janvier 1993
Durée: 74:39
Musiciens: Henri Texier (contrebasse), Bojan Zulfikarpasic (piano, piano électrique), Tony Rabeson (batterie), Glenn Ferris (trombone), Michel Portal (bandonéon), Louis Sclavis (clarinette, saxophone soprano)