Depuis ses premiers succès au sein de Genesis, Peter Gabriel a toujours viscéralement refusé de regarder en arrière. Pour lui, la musique devait aller de l’avant. D’où la carrière solo et le refus quasi maladif de prendre part à une quelconque forme de retrouvailles avec ses anciens collègues. Même sa propre musique, elle était retravaillée d’une tournée à l’autre. Elle était rarement ou jamais offerte comme à l’origine. Ça, c’était avant la tournée Back To Front qui passait mardi soir au Centre Bell
Par Philippe Rezzonico
Avant même que ça commence, on se disait que Gabriel allait jouer à fond le jeu de la nostalgie. En arrière-scène, un banal écran plat comme on en voyait il y a 25 ans. Pas d’écrans LED multi-divisibles comme on le voit dans toutes les tournées de 2012. La passerelle? Haute de trois ou quatre pieds, uniquement là pour permettre à Gabriel, Tony Levin et David Rhodes d’y passer durant l’habituelle petite marche de santé liée à Solsbury Hill.
Même les spots télescopiques ressemblaient à s’y méprendre à ceux utilisées lors de la tournée de l’album So. J’avais vu les mêmes quand Gabriel s’était produit dans le cadre de la virée d’Amnistie internationale (avec Sting, Springsteen, Chapman, Rivard, Lavoie, etc) au Stade olympique en septembre 1988, dans ce qui était le prolongement de la tournée de So.
En trois temps
Gabriel étant Gabriel, il ne pouvait se résoudre à tout rejouer comme dans le temps, d’où cette portion acoustique pour amorcer la performance devant 12, 700 personnes qui l’attendaient comme on attend Dieu dans une église.
La décision de ne pas complètement éteindre les lumières dans le Centre Bell durant ce segment s’est toutefois retourné contre le Britannique. Les lumières allumées, quand U2 vient livrer une bombe comme Elevation, ça mène au délire. Mais pour une portion acoustique, des spots chauds braqués sur les musiciens offrent un environnement bien plus séduisant qu’une lumière diffuse. Passe encore pour Family Snapshot, mais Shock the Monkey, jouée comme ça dans un tel environnement, c’était du gaspillage…
On l’a vu derechef quand on a éteint les lumières et que tout le band est passé en mode électrique pour la toujours mordante Digging In the Dirt ainsi que Secret World, cette dernière étant particulièrement réussie.
On a aussi pu apprécier l’utilité des rails repérés sur la scène quand l’une des grues télescopiques est venue s’installer devant le parterre durant Family Fishing Net, ainsi que lors de No Self Control, quand Gabriel s’est retrouvé « mitraillé » par les faisceaux de toutes parts. Il y avait là une touche qui ressemblait furieusement au côté déjanté d’une production comme The Wall, mais à bien plus petite échelle. Très réussi.
Team 1987
Gabriel avait regroupé la même équipe de tournée qu’en 1987, soit Levin, Rhodes, Manu Katche et David Sancious, l’un des membres fondateurs du E Street Band. Tout ça, pour offrir l’intégralité de l’album So (1986) qui aura fait époque. Ce fut d’ailleurs là que le spectacle a pris tout son sens, tant ce disque tient encore bien la route.
Gabriel n’aura modifié qu’une fois la séquence originale de l’album, faisant succéder Mercy Street à That Voice Again, alors qu’on aurait normalement dû entendre In Your Eyes, qu’il avait finalement gardé pour la fin après This Is The Picture. Mineur.
Red Rain a toujours la même puissance, Sledgehammer a fait danser tout le monde, tandis que Mercy Street fut gi-gan-tes-que, quand Gabriel l’a interprétée couché sur le dos, alors que les caméras et les spots étaient braqués sur lui. Le grand moment du spectacle.
En revanche, Big Time est passée complètement dans le vide. Hormis les spectateurs obligatoirement debout au parterre, personne ne s’est levé dans les gradins. Les gens de mon âge se rappelleront que cette chanson était l’autre bombe de So, mais Peter l’a délaissée sur scène depuis des lustres, et visiblement, des tas de gens l’ont oublié.

Les grues télescopiques manipulées par l'équipe technique ressemblait à s'y méprendre à celles des années 1980. Photo Mata Hari.
Ce qui nous amène à Gabriel. Toujours classe, le Britannique. Gabriel s’adresse au public montréalais en français et tout le groupe porte des vêtements griffés Parachute (marque québécoise), comme pour la tournée il y a 25 ans. Il l’a d’ailleurs noté « spécialement, spécialement à Montréal : merci »
La voix, globalement, ça va. Mais quand il tente de bouger comme il le faisait dans le temps, ça ne va plus, sauf peut-être, pour les pas de danse chorégraphiés de Sledgehammer. C’est patent quand on a vu Gabriel se rouler par terre et courir sur scène dans les années 1970, 1980 et même au début des années 1990. Allez voir les vidéos sur You Tube pour vous en convaincre…
Désormais, Gabriel se déplace en s’assurant surtout de ne pas tomber sur les rails et il se déplace de façon laborieuse. Curieusement, l’effet est bien moins perturbant quand Gabriel passe en tournée avec un nouvel album. Il propose alors des tas de nouvelles chansons avec lesquelles nous n’avons aucun corollaire avec le passé. Mais dans un spectacle ou toutes les chansons – sauf une – sont antérieures à 1993, le jeu de la comparaison fait mal.
Bien sûr, c’est de la faute des amateurs, pas celle de Gabriel. Peter l’a fait pour eux cette tournée nostalgique. Bon… Un peu aussi pour mousser les rééditions et coffrets 25e anniversaire de So qui s’en viennent dans quelques semaines, mais ça fait tellement longtemps que les amateurs lui demandent de revisiter son passé. Et à l’exception de Games Without Frontiers, nous avons été gâtés, rayon grands succès.
Mais voilà… Il manquait à ce spectacle d’une qualité musicale exemplaire l’étincelle de folie d’antan et le souffle nécessaire pour transformer une prestation de grande qualité en une réelle performance.Qui sait? Peter a peut-être trop attendu pour jouer à Back To Front…. Pardon, à Back To The Future.