Les gens de ma génération ont commencé à écouter la musique des Beatles au milieu des années 1970, au moment où le groupe avait déjà tiré sa révérence. Quand on nous pose la question : «Quel est votre album préféré des Beatles?», la majorité d’entre nous – et des générations qui nous ont suivis – répond Revolver, Rubber Soul, Abbey Road, Sgt Pepper… Normal. Nous jugeons l’œuvre à posteriori, sans parti pris de nostalgie.
Par Philippe Rezzonico
La perception des gens qui ont vu naître la Beatles n’est parfois pas la même. Invité à signer la préface de la première liste des 500 meilleurs albums de l’histoire parue dans l’édition magazine du Rolling Stone – avant le web, ou presque -, Steve Van Zandt, du E Street Band, avait sélectionné Meet the Beatles!, le premier disque du Fab Four paru sous étiquette Capitol, la maison-mère américaine des jeunes britanniques. Normal. Pour Van Zandt, ce disque avait été l’électrochoc de sa jeunesse.
Après la rupture des Beatles, diverses compilations ont vu le jour. Mais après les albums doubles The Beatles 1962-1966 (l’album «rouge») et The Beatles 1967-1970 (l’album «bleu») de 1973, ainsi que le Rock N’ Roll Music de 1976, que restait-il à proposer de neuf?
C’est alors que le président de Capitol, Bhashar Menon, a demandé au réalisateur George Martin d’écouter les pistes des enregistrements gravés au Hollywood Bowl, lors des passages des Beatles en 1964 (23 août) et 1965 (29 août).
Martin n’était pas chaud à l’idée. Il se souvenait que la qualité des enregistrements n’était pas loin d’être atroce, du moins, selon les standards élevés des Beatles en studio. Mais avec l’aide de la technologie des années 1970 – et celle des pistes des mêmes chansons enregistrées au stade Shea en 1965 -, le légendaire réalisateur mena la tâche à bien et Live at the Hollywood Bowl se retrouva dans les bacs des disquaires des deux côtés de l’Atlantique le 4 mai 1977.
À défaut d’être du matériel original, il s’agissait alors d’un disque des Beatles «tout neuf», le groupe n’ayant jamais officiellement mis en marché un disque enregistré en spectacle.
Ajout sympathique à la discographie officielle pour les uns, il fut un grand moment pour ma génération qui était adolescente en 1977.
Nous avions enfin «notre» album des Beatles bien à nous. Disque que nous pouvions acheter dès sa parution en magasin.
Dieu que nous l’avons écouté souvent cet album de 13 chansons dans le sous-sol de mon pote Robert Stockli à la fin des années 1970. Volume au max, en tentant de saisir les paroles de John, de Paul ou de Ringo qui étaient pratiquement enterrées par les cris stridents des fans hystériques. Seul moment d’accalmie, l’offrande de Things We Said Today, alors toute nouvelle chanson annoncée par George, qui a incité la foule à se la boucler afin de l’entendre. Quand je pense que McCartney a chanté cette rareté à Montréal en 2010, ça donne la chair de poule.
Si un Martien me demandait de lui expliquer ce qu’était la Beatlemania, c’est ce disque et uniquement ce disque que je lui ferai entendre. De l’ouverture de Twist and Shout, à l’éruption de Boys – que Ringo a interprétée l’automne dernier au théâtre St-Denis – , tout en passant par le doublé coup de poing de All My Loving/She Loves You (mes deux chansons préférées des premières années des Beatles), il n’y a rien à jeter.
Compositions originales (She’s A Woman, Ticket To Ride, Can’t Buy Me Love, A Hard Day’s Night, Help!) ou reprises (Dizzy Miss Lizzy, Roll Over Beethoven, Long Tall Sally), les Beatles étaient aussi déchaînés que leurs fans dans cette bataille à qui-va-hurler-plus-que-l’autre.
Dans cette version remixée avec les moyens d’aujourd’hui, tout le monde gagne. Et nous avons même droit à quatre chansons supplémentaires qui feront partie du documentaire de Ron Howard attendu en DVD/Blu-Ray en novembre. Aucun autre document audio ne résume aussi bien ce qu’étaient les jeunes Beatles et l’impact qu’ils ont eu sur la musique populaire.
Quel est votre album préféré des Beatles? Revolver, Rubber Soul, Abbey Road, Sgt Pepper…? Moi, c’est Live at the Hollywood Bowl. Parce que c’est l’album des Beatles de ma génération.