L’entrevue a eu lieu dans un café de l’avenue du Mont-Royal. Normal. Michel Rivard habite dans le coin. Sur le Plateau. Ou peut-être devrait-on dire qu’il habite de nouveau dans le coin, dans ce quartier où il s’est pointé il y a une quarantaine d’années avant de former un groupe nommé Beau Dommage qui a eu le succès que l’on sait.
Par Philippe Rezzonico
Cette image de retour aux sources est omniprésente sur le plus récent disque de Rivard et elle peut s’appliquer autant au Rivard/Beau Dommage qu’au Rivard/Flybin. Roi de rien, assure-t-il dans sa chanson-titre, comme pour annoncer la couleur. Roi serein, a-t-on le goût d’ajouter.
Je ne sais trop combien d’entrevues ai-je au compteur avec Michel Rivard, mais jamais je ne l’ai senti aussi calme à l’approche d’une nouvelle parution. Était-ce parce que j’étais le dernier intervieweur de la journée et qu’il n’y avait pas de chrono? Le mercure magnifique? L’idée d’aller promener Charlie, sa nouvelle petite chienne, aux alentours? Je l’ignore, mais le Michel Rivard qui s’est présenté devant moi respirait la sérénité comme jamais.
Peut-être était-il simplement heureux d’avoir mené à terme une entreprise qui, à priori, n’était pas fermement inscrite à son agenda. Roi de rien est le premier disque de matériel original de Rivard depuis Confiance (2006). Sur ce plan, rien de nouveau. De sept à huit ans d’attente entre deux albums solo..
Mais Rivard, l’auteur-compositeur, Rivard, l’interprète, et Rivard, le comédien, n’ont pas chômé durant ce temps avec ce qu’il désigne comme étant ses « activités parascolaires ». À preuve, sa participation à la série-télévisée 30 Vies, son association au sein du collectif des Hommes rapaillés et les 36 titres écrits et composés pour Les filles de Caleb, qui plus est écrits et composés avec des balises bien précises. Nous étions loin de l’écriture libre.
Bref, le Rivard auteur-compositeur semblait avoir tout dit pour un moment. D’autant plus que Rivard, l’être humain, venait de connaître des « changements dans ma vraie vie ».
Roi de rien a-t-il failli ne pas voir le jour?
« Le disque était souhaité depuis longtemps. Mais mes activités parascolaires ont pris le dessus. J’ai dit « oui » à ça, « oui » à ça. Il y avait une grande fatigue. Puis, il y a deux ans, c’était l’automne, comme maintenant. J’avais l’idée de reprendre le beat, d’écrire le matin, de promener ma chienne Alice (décédée depuis), de prendre un café. Sans me presser. Je me disais qu’il fallait attendre que l’eau remonte dans le puits. Non. Ce disque, c’est la faute d’une toune, Roi de rien, née dans les ruelles d’après l’observation de gens heureux et malheureux.
« C’est à la fois un statement d’indépendance et d’importance à la vie. On est juste heureux d’être là et d’être bien malgré tout.
« Elle m’a fait du bien cette toune-là. Au point de me dire de ne pas prendre des vacances tout de suite… La rigueur que j’ai mis à écrire 36 tounes en 18 mois: pourquoi ne pas avoir cette rigueur-là pour moi? Je dis non à tout le reste et j’écris un album. Ça prendra le temps que ça prend. Ça a pris deux ans. »
– Peux-t-on parler d’urgence, un mot galvaudé s’il en est un. Ces jours-ci, tout ce qui est spontané semble avoir été créé dans l’urgence?
« S’il y avait un autre mot qu’urgence…. Il y a un constat serein, mais précis, que le temps commence à passer plus vite qu’avant. Cette toune-là a coïncidé pratiquement avec mon 60e anniversaire. C’était un gros chiffre. Vieillir ne me fait pas peur, mais je me suis dit que je ne peux attendre huit ans entre chaque album. Sinon, il m’en reste combien à faire? Un autre? Écrire, c’est mon métier. On se reposera plus tard. »
Tant mieux pour nous, tant il y a sur Roi de rien des textes et musiques parmi les meilleurs des Rivard.
De Beau Dommage au Flybin
Sur la chanson-titre à la tonalité parfaite qui rappelle le Flybin d’antan, Montréal est décrite avec une plume poétique. Et il y a ce brillant clin d’œil à la politique, « ni sujet, ni souverain », qui en dit long sur l’état d’esprit de l’auteur.
Mélodie est une chanson ou tout le texte est pratiquement à double sens, avec une bonne dose d’autobiographie. Parle-t-on d’une femme ou d’une chanson? Tout ça avec des références à Dylan, Peter Paul and Mary, le tout, nappé d’une trompette chaude.
« Quand j’ai trouvé le titre, Mélodie, je me suis dit que ça n’allait pas être une femme. Mais au troisième couplet, ce n’est plus moi qui chante. Je me détache de la chanson. Après, c’est l’histoire de bien du monde qui ont joué de la guitare dans leur sous-sol mais qui n’ont pas eu la chance d’en faire un métier comme moi. Une sous-histoire qui a donné tout le sens à la chanson. »
Et on avance se veut un folk rythmé dont le texte peut se conjuguer autant au plan personnel que collectif. Dans l’bois est extirpée du terroir. Vertige est sombre avec sa phrase assassine « Ton amour est une salle d’attente », tandis que Merci pour tout est une magnifique chanson autobiographique où Rivard remercie tous ceux qui ont été présents avec lui tout « au long du chemin ».
« Et si tu savais comme j’ai élagué… Ça aurait pu être une toune progressive, tellement j’ai coupé de couplets. J’ai le goût de dire merci à ceux que j’aime et tant pis si des gens trouvent ça kétaine. J’ai beaucoup de mes chansons qui ont deux niveaux de lecture, en demi-teintes. Mais pour celle-là, je voulais enlever toute ambiguïté sur les sentiments. C’était un besoin. Là, il n’y a pas de double sens. Merci pour tout. »
Finalement, en dépit de la soixantaine, Rivard n’a pas tellement changé, du moins, quant à son approche musicale.
« J’ai autant le goût de marcher en ville. J’ai le goût de prendre une guitare. J’adore les femmes. J’adore voir leur réaction quand je joue de la guitare. Ça, ça n’a pas tellement changé depuis la cafétéria du cégep (rires). Sans que ça soit un disque sur Montréal, ma toile de fond est Montréal, même quand le héros vient de Roberval (Styromousse). »
– Tu prends des risques quand tu demandes dans cette chanson: « Quel temps il fait à Roberval? » Quelqu’un qui a coulé son cours de compréhension de texte (NDLR : référence à la fausse controverse portant sur la chanson de Vincent Vallières), pourrait t’en vouloir.
« Au contraire, j’espère qu’ils vont se plaindre, je vais en vendre beaucoup. » (fou rire partagé).
Le retour des harmonies
Nombre de chansons de Roi de rien sont colorées d’harmonies tripartites, quelque chose plutôt rare au sein de discographie personnelle de Rivard.
« Je mets plus d’harmonies de voix qu’avant. On dirait que c’est faire la paix avec quelque chose… Les harmonies, c’était Beau Dommage. Dans mes affaires à moi, il y en avait peu ou pas. Et là, je me suis dit : « Minute, j’aime ça les harmonies de voix et je voulais en faire à trois. » Assumons-le. »
Rivard reprend aussi Avalanche, qu’il avait offerte à Éric Lapointe il y a quelques années. Lapointe qui avait toutefois modifié le tempo et escamoté les deux premières phrases du refrain : « Les images se mélangent dans la poudre et le sang/la mémoire me démange/c’est à quelle heure le présent. »
« Je pense qu’il ne voulait pas mentionner la poudre. C’est son droit. Pour ma part, je n’ai aucun problème avec ça. Cette chanson, c’est histoire inventée. D’ailleurs, à quelques exceptions, j’ai été rarement été confessionnel quand j’écris des chansons. »
Les compositions de Roi de rien ont déjà passé le test de la scène cet été, quand Rivard a fait quelques spectacles individuels et collectifs, notamment ceux au Verre bouteille. Et elles ont été enregistrées dans leur plus simple enrobage.
Tous ceux qui se procureront l’album disponible dès mardi pourront également télécharger les versions acoustiques de ces titres en plus d’obtenir deux chansons qui ne figurent pas sur l’album.
Une grosse valeur ajoutée de la part de l’artiste qui a dit « chu’ben » plus d’une demi-douzaine de fois durant notre entretien.
C’est ce qui arrive, finalement, quand tu es heureux comme un roi.
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Michel Rivard, Roi de rien (Spectra Musique), réalisé par Éric Goulet. 4 étoiles