Montages musicaux : quand l’économie passe avant tout

Sans quotas, des artistes comme Antoine Gratton et Mara Tremblay auraient plus de difficulté à se faire entendre. Photo d'archives, Courtoisie Pascal Ratthé.

En raison d’infractions liées aux quotas radiophoniques, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a annoncé cette semaine que deux stations privées francophones, CKTF-FM et CKOI-FM, se sont vu imposer une condition de licence qui les empêchera de diffuser plus de 10 pour cent de montages dans l’ensemble de leur programmation. Bravo pour la tape sur les doigts. Mais qu’en est-il de l’intention ?

Par Philippe Rezzonico

Ce n’est pas d’hier que certaines stations tentent de contourner les quotas de musique francophone qui régissent une partie de leur licence. Concocter de longs segments de chansons anglo-saxonnes de 10 ou 15 minutes qui comptent pour un seul titre était la plus récente façon en vogue de le faire.

L’avertissement est sérieux.  L’Association de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ), qui avait été la première à sonner l’alarme en portant plainte au CRTC, est satisfaite de la réprimande. A court terme, on peut présumer que le coup de semonce va refroidir les ardeurs de ceux qui voudront tricher dans l’avenir. Fort bien.

Depuis toujours, le non-respect des quotas radiophoniques est perçu comme une atteinte à la survie de langue française, ce qui est évidemment exact. On peut d’ailleurs tracer un parallèle entre ces quotas et certaines dispositions de la loi 101, notamment celles touchant la langue d’affichage et du travail. Il ne faut pas se leurrer. Cela prend des balises pour protéger notre langue et notre culture.

Mais j’ai toujours eu l’impression que les quotas en musique relevaient bien plus de la logique économique que culturelle. Selon vous, pourquoi des radiodiffuseurs tentent-ils de faire jouer plus de contenu anglo-saxon ? Parce qu’ils font plus d’argent. C’est le principe de la saucisse Hygrade.

La diffusion de plus de chansons anglo-saxonnes auprès d’un public cible (adolescent/jeune adulte) qui ne demande que ça mène à un plus grand auditoire. L’auditoire majoré permet aux stations de hausser leurs grilles tarifaires de pub, ce qui génère plus d’argent pour les propriétaires et actionnaires. Il s’agit de stations privées à but lucratif, ne l’oublions pas.

Tout ça est basé sur un principe d’économie qui remonte à l’époque séculaire du troc : l’offre et la demande. On a beau vouloir protéger notre langue, la réalité, c’est que la demande de musique anglophone est colossale. Presque aussi grande que l’offre, qui, elle, est gargantuesque.

Encore plus vrai depuis que le web rend accessible la zizique d’un band obscur d’Australie au bout de vos doigts et que des tas de groupes et d’artistes francophones du Québec et de la France (Simple Plan, Pascale Picard Band, Mobile, Phoenix) privilégient l’expression anglophone.

Bref, des balises de protection, ça va en prendre beaucoup durant les prochaines années. Parce qu’une évidence saute aux yeux dans bien des sphères d’activité de nos sociétés occidentales depuis des lustres : l’argument économique l’emporte souvent. Parfois, au mépris de la culture.