Si, au quotidien, le passage d’une année à une autre marque souvent la séparation entre les excès de table et le régime, sur le plan professionnel, on passe d’ordinaire des bilans aux projections. Et sur ce dernier point, ma foi, il y a plus d’incertitudes que de certitudes dans le merveilleux monde de la musique.
Par Philippe Rezzonico
Évidemment, nous allons en écouter de la musique en 2012. Mais laquelle ? De qui ? En quelle langue ? Sur quel support? Plein de questions qui semblent anodines mais qui sont lourdes de sens en ce début de nouvelle année.
Tiens, allons-nous terminer 2012 avec un major en moins ? C’est ce qui est arrivé en 2011 quand EMI s’est fait bouffer par ses concurrents. Remarquez, il ne reste que trois grands (Universal, Sony, Warner), mais au rythme où vont les choses, il n’est pas dit qu’une seule et unique étiquette mondiale possédera – presque – tous les catalogues de la planète dans un avenir rapproché.
Quand trois étiquettes contrôlent à ce point l’actif (tous les artistes encore sous contrat avec elles) et le passif (des catalogues entiers de légendes de la pop, du rock et du jazz) de la production mondiale, ça commence drôlement à ressembler à un monopole, non ? Incertitude.
Bien sûr, sur le plan de la diffusion numérique, il va y avoir plus de concurrence parce que iTunes doit maintenant composer avec d’autres adversaires (Google, Spotify, Amazon, etc.). Mais je commence à me demander jusqu’à quel point nous ne sommes tout simplement pas en train d’échanger quatre trente sous pour un dollar. Explication.
Il y a dix ans, les majors régnaient presque tout, parfois au détriment de l’artiste. Du moins, c’est que ce semblaient soutenir certains créateurs eux-mêmes… Maintenant, les joueurs d’impact mondiaux sont les diffuseurs de contenus. Les artistes sont-ils plus avantagés ? Les plus gros, probablement. Grâce au volume. Les autres? Non.
Combien reçoit un interprète ou un auteur-compositeur pour une chanson téléchargée légalement à 0.99 $ ou 1,29 $ ? Moins de 20 pour cent. En fait, si l’interprète et l’auteur-compositeur sont une même personne, ça peut dépasser les 20 pour cent. Tout juste.
Ça varie d’un pays, d’un distributeur et d’un territoire à l’autre, mais l’artiste ne récolte pas 80 pour cent de la somme perçue à la source comme bien des gens pensaient que ça allait arriver avec la disparition des frais touchant la fabrication du support physique et de sa livraison.
A coups de millions de téléchargements, Rihanna et Lady Gaga s’en fichent un peu. Mais je ne pense pas que Damien Robitaille et les membres des Breastfeeders paient leur loyer avec ça.
Et, incertitude ultime, qui, sous peu, sera encore prêt à acheter de la musique ?
Des types dans mon genre, sûrement. Je l’ai encore fait durant le temps des fêtes. Un peu plus de 200 $ d’achats d’albums pas envoyés en format physique par les compagnies de disques ou de rééditions augmentées que certains majors, justement, ne fourguent pas aux chroniqueurs. Je fais ma part pour stimuler l’industrie, même si je n’ai normalement pas à débourser pour ma musique en raison de mon travail.
Sauf que je connais plein de gens qui ne vont pas payer un sou pour la musique en 2012.
Presque tous ceux qui ont commencé à télécharger illégalement depuis que le phénomène existe et ceux qui ont commencé à consommer de la musique à un moment où il n’avaient pas à payer pour le faire (fenêtre des cinq dernières années, environ). Pourquoi le ferait-ils aujourd’hui ?
Des tas de jeunes et d’étudiants – les consommateurs de musique les plus avides qui soient – qui n’ont pas les moyens d’acheter tout ce qui leur plaît parce qu’ils ont leurs études à payer ou un boulot pas payant.
Et plein de gens, toutes générations confondues, qui ne peuvent acheter de la musique de façon aussi assidue qu’ils le voudraient parce qu’ils ont du mal à joindre les deux bouts. La crise économique et les familles canadiennes endettées à 150 pour cent, vous avez entendu parler ?
Bien plus d’incertitudes que de certitudes, donc, pour l’année qui commence. Sinon une seule. Blindée. L’industrie de la musique n’est pas sortie du marasme en 2012.