Chaque année, le constat est immuable. De grands artistes disparaissent. Et vous voyez apparaître des listes interminables sur le sujet en raison des ravages de la Grande Faucheuse.
Par Philippe Rezzonico
Ici, on va faire pareil, mais on va faire différent, d’accord ? Pas question de dresser une liste qui semblerait à peu près exhaustive, même si l’on ne tient compte que des disparus en musique ou en cinéma. Il n’y a pas loin d’une centaine de noms que l’on pourrait retenir, à commencer par les monstres sacrés que sont Elisabeth Taylor et Alys Robi, Annie Giradot et Claude Léveillée.
En fait, ça sera une très, très courte liste. Dix noms, seulement. Pourquoi ceux-là ? Non, non… Pas au mérite. Tout le monde est égal devant la mort. Pour des raisons que j’explique, ces artistes ou leur œuvre m’ont marqué plus que d’autres. Tous les ans, c’est pareil : nous avons chacun nos disparus.
Et dites-vous que si ceux de 2011 laissent à chacun d’entre nous des souvenirs impérissables, leur passage sur notre boule de terre n’aura pas été vain.
Alys Robi, 88 ans (3 février 1923-28 mai 2011): C’était lors du gala de l’ADISQ, il y a de ça plus d’une décennie. Vêtue de blanc, Lady Alys était venue interpréter Laissez-moi encore chanter. Ovation monstre, bien sûr, mais choc pour quiconque – comme moi – ne l’ayant jamais vue en personne sur scène auparavant. Je l’ai revue une fois après. Malade, frêle, mais dotée de la même ferveur. Sur les planches, la première vedette populaire du Québec ne connaissait qu’une façon de se donner : à fond. Lady Gaga a de qui s’inspirer.
Écoute essentielle : Tico Tico
Amy Winehouse, 27 ans (14 septembre 1983-23 juillet 2011) : Retenez la date : 7 juillet 2004. Ce fut la seule fois que Amy Winehouse a chanté à Montréal, au Club Soda, dans le cadre du FIJM. Buzz, il y avait, pour entendre cette nouvelle venue qui interprétait avec une voix phénoménale les compositions de son album Frank. On a aussi remarqué qu’elle alignait les verres de rouge comme si elle voulait faire honneur à son nom. C’est en entendant sa livraison exceptionnelle de God Bless the Child que j’ai tracé dans ma tête le parallèle entre son talent fabuleux et la crainte qu’elle ne s’autodétruise, comme Billie Holiday. On connaît la suite. Quel gâchis.
Écoute essentielle : Rehab
Clarence Clemons, 69 ans (11 janvier 1942-18 juin 2011) : Clarence, sur le dos, porté par la foule au Stade olympique, en 1988 ; Clarence, souriant à pleines dents, lors du retour du E Street Band au New Jersey, en 1999, après dix ans d’absence ; Clarence, saxo pointé au ciel, lors d’une version démentielle de Light of Day, à Toronto en 2000 ; Clarence et Bruce, chutant ensemble sur scène à Ottawa, en 2003, sans jamais interrompre leurs solos respectifs ; Clarence, Bruce et Steve, le lendemain, me regardant droit dans les yeux dans le mosh pist du Centre Bell, avant de jouer Dancing In the Dark ; Clarence et Bruce arrivant côte à côte sur la scène du Camp nou de Barcelone, en 2008, face à 80, 000 spectateurs en délire ; et Clarence, Bruce et tout le E Street, transformant le Madison Square Garden en fournaise, en 2009, lorsqu’ils livrent toutes les compositions de l’album The River en séquence. Que d’images grandioses et indélébiles… Que dire de plus ? So long, Big Man.
Écoute essentielle : Jungleland.
Claude Léveillée, 78 ans (16 octobre 1932-9 juin 2011) : Claude Léveillée a subi en succession le même genre d’ACV que mon père, trois décennies plus tôt. Prisonnier en partie de son corps, était-il, après coup. Faut avoir vécu auprès de quelqu’un ayant subi une telle tragédie pour en mesurer l’impact. Pourtant, Claude était encore impérial quelques années plus tôt, quand il avait offert ce spectacle de légende aux FrancoFolies de Montréal. Ce sont ces magnifiques images que je préfère garder en tête.
Jérôme Lemay, 77 ans (22 août 1933-20 avril 2011) : En 2001, Jérôme Lemay se pointe au JdM en matinée pour accorder une entrevue au regretté confrère Paul-Henri Goulet. Le jour ? Le 11 septembre. Jérôme n’a jamais eu de chance… Encore moins dix ans plus tard, le 31 mars, lors de la première rentrée des Jérolas à la PdA depuis des lustres. Rentrée durant laquelle il s’est évanoui à la fin de la première partie. Le verdict : anémie. Mais c’est le cancer l’emportera trois semaines plus tard. Jamais de chance… Mais Méo Penché s’est battu jusqu’au bout.
Écoute essentielle : Méo Penché.
Jerry Leiber, 78 ans (25 avril 1933-22 août 2011) : Son nom ne vous dit peut-être rien et vous ne l’avez jamais vu sur scène. Mais avec son pote Mike Stoller, Jerry Leiber a composé Hound Dog, Jailhouse Rock, Loving You, King Creole, Treat Me Nice, Love Me, (You’re So Square), Baby I Don’t Care et autres Trouble. Sans ce parolier que fut Jerry, la légende d’Elvis ne serait pas aussi immense.
Ecoute essentielle : Jailhouse Rock
John Barry, 77 ans (3 novembre 1933-30 janvier 2011) : James Bond, c’est lui. En fait, c’est lui qui a composé les instrumentales 007, You Only Live Twice, Thunderball, On Her Majesty’s Secret Service et les chansons Goldfinger et Diamonds Are Forever popularisées par Shirley Bassey. Pas le thème. Le thème de James Bond, c’est Monty Norman…mais c’est Barry qui a concocté les arrangements. Midnight Cowboy, c’est lui aussi. Tout comme son instrumentale que je préfère, soit le thème de la série télé Amicalement vôtre (The Persuaders) Quite a Sir, ce british.
Écoute essentielle : The Persuaders Theme
Peter Falk, 83 ans (16 septembre 1927-23 juin 2011): Adolescent, je raffolais des téléfilms de l’inspecteur Columbo qui arrivait à coincer le meurtrier que nous, spectateurs, avions vu à l’œuvre dès le début du programme. Concept novateur, à l’époque.
Visionnement essentiel : Les épisodes des saisons 1971-1975 du NBC Mystery Movie. Les meilleures.
R.E.M. 30 ans (1981-2011): On tient compte de la date du premier enregistrement (Radio Free Europe) en 1981, o.k. ? Pas de décès ici, heureusement, mais une finalité probablement inévitable quand on observe l’impact de R.E.M. durant les années 1980 et 1990 versus les années 2000. Il nous reste plein de grandes chansons à réécouter en attendant que Stipe, Buck et Mills soient pris du désir – comme tous les autres – de se reformer.
Écoute essentielle : Everybody Hurts
Sidney Lumet, 86 ans (25 juin 1924-9 avril 2011): 12 Angry Men, Dog Day Afternoon, Network et The Verdict. Sydnet Lumet a été en nomination pour l’Oscar de la réalisation pour chacun de ces films, mais ne l’a pas remporté. Un Oscar honorifique a couronné l’ensemble de sa carrière. Il y a eu aussi Serpico et Prince of the City, parmi ses œuvres fortes. Comme Martin Scorsese, Lumet n’avait pas son pareil pour instaurer des climats de tension dans les jungles urbaines.
Visionnement essentiel : N’importe lequel des films candidats à l’Oscar de la réalisation.
Bon, ce n’est pas tout ça…. Faut y aller. Si la planète ne saute pas sur le coup de minuit demain soir, on se reparle la semaine prochaine… Bonne année.