Paul McCartney, en personne… à Hamilton

Paul McCartney One on OneHAMILTON – La qualité de l’écran du panneau indicateur du FirstOntario Centre (anciennement le Copps Coliseum) remonte à l’époque de l’ordinateur Commodore 64. Ou presque… Les portes d’accès à l’aréna ne sont de la dimension d’une porte normale de résidence. Ce qui explique les deux files d’attentes de près d’un demi-kilomètre, l’une, le long du boulevard York, et l’autre, sur la rue Bay, parce que Paul McCartney est en ville.

Par Philippe Rezzonico

C’est une première. Jamais l’ex-Beatle n’avait donné un spectacle dans la ville industrielle canadienne avant jeudi soir. Remarquez, le Copps Coliseum n’a jamais accueilli d’équipe de hockey professionnelle de la Ligue nationale depuis sa construction non plus… Il y a des rêves qui mettent plus de temps à se réaliser que d’autres. Et d’autres, qui demeurent inassouvis à jamais.

Le sourire et la bonne humeur généralisée des spectateurs qui font le pied de grue contraste avec l’environnement immédiat de l’aréna situé dans le centre-ville de Hamilton. Un centre-ville morne, où l’aréna cohabite avec le marché de fruits et de légumes frais (très bien), des commerces du genre Dollarama, quelques pubs et le centre d’aide aux personnes dans le besoin, tous logés dans le même rond-point. J’ai croisé plus itinérants dans les heures précédant le concert que de revendeurs de billets. C’est tout dire.

À l’intérieur, l’internet sans fil est une invention technologique qui a du mal à faire son chemin. Il fallait voir les vendeurs de souvenirs pointer leurs appareils manuels pour cartes de crédit vers le plafond pour tenter de capter le signal. Encore fallait-il avoir des appareils… À certains comptoirs à bière, on pouvait lire : « cash only ». Pourquoi, ai-je demandé à une jeune préposée?

« Parce qu’il n’y a pas assez de machines électroniques dans l’aréna ».

Tous ces inconvénients ont dû faire rigoler – ou pester – autant que moi les amateurs de Toronto présents au spectacle qui étaient bien plus nombreux que ceux de Hamilton, comme on l’a constaté quand McCartney a posé la question à la foule. Mais le vieil aréna était néanmoins plein à craquer. Pas un siège de libre. Et pour cause. Au-delà de l’événement au plan local, les tournées de McCartney sont désormais devenues des chasses aux chansons rares pour des types dans mon genre.

Succès et raretés

On a parfois l’impression qu’un spectacle de McCartney est pratiquement identique au précédent spectacle de McCartney, tant le nombre d’immortelles de la période Beatles ou Wings est considérable. C’est faux. Pas moins de 15 chansons interprétées à Hamilton cette semaine n’étaient pas du programme sur les Plaines d’Abraham, à Québec, il y a deux ans. Et vice-versa.

Bien sûr, Hey Jude, Yesterday, Back In the U.S.S.R., Let It Be, Band On the Run, Maybe I’m Amazed et Live and Let Die – pour ne nommer que celles-là – sont toujours de la partie. Mais McCartney interprète tellement de chansons durant un spectacle (minimum 38 depuis environ 15 ans) qu’il peut varier la sélection sans que l’amateur occasionnel n’ait l’impression d’avoir été floué au rayon des grands succès. Mais seul l’amateur assidu à ses spectacles peut mesurer les variantes et les nuances.

Le truc de Macca est simple. Il change le nom de sa tournée chaque année (cette fois, c’esr One On One) et il ressort des chansons pas interprétées depuis longtemps ou d’autres qu’il n’a jamais interprétées depuis la dissolution des Beatles.

Par exemple, cette fois, il amorce son spectacle avec A Hard Day’s Night, classique des classiques du canon Beatles, sur lequel il avait toujours fait impasse parce que c’est à la base une « Lennon-McCartney » de John. Sauf que les deux chantaient « lead » en alternance à l’époque sur cette chanson et McCartney a décidé de se faire plaisir. Et à nous faire plaisir, par ricochet.

Je ne peux même pas exprimer en mots l’effet foudroyant que provoque le « Twannnngggg!!! » d’ouverture. Vingt-mille watts d’électricité dans mes reins n’auraient pas fait plus d’effet. Je l’avoue, ce périple à Hamilton et les prohibitifs 327 $ pour le billet ont été justifiés uniquement par la certitude d’entendre une fois A Hard Day’s Night « live » dans ma vie. Et de la chanter.

Quand Macca a hurlé le « Yearrgg!!! » avant le pont de guitare, j’ai cru y laisser mes amygdales. Presque autant que la dame de 65 ans de Terre-Neuve présente à mes côtés qui venait voir McCartney pour une première fois « before I die ». Rien à craindre. Elle est ressortie de ce spectacle comme si elle avait 20 ans.

Il y avait aussi Love Me Do, offerte pour une première fois par le Sir de Liverpool depuis les années du Fab Four. Une version livrée avec tous les musiciens en bivouac à l’avant-scène. L’harmonica de Paul «Wix» Wickens était rendu à la note près comme sur la version studio. Frissons garantis avec 15 000 spectateurs debout pour chanter et battre la mesure. Magique.

Retour, aussi, de Can’t Buy Me Love et The Fool On the Hill, remisées depuis des années. La première, je l’ai ratée en 1989, quand je n’ai pu me présenter au concert du Forum de Montréal, because, journal local à concocter le soir de spectacle. Formidable, le pont instrumental livré par McCartney, Rusty Anderson et Brian Ray, côte-à-côte. Quant à The Fool On the Hill, elle m’avait tout simplement échappée au gré des tournées.

McCartney affectionne aussi de ressortir de ses tiroirs des chansons fabuleuses tirées d’albums de légende. Gâtés, étions-nous, d’entendre le même soir la mirifique Here, There and Everywhere (Revolver) et You Won’t See Me (Rubber Soul). Si la seconde était parfaite, on a constaté durant la première que le timbre de McCartney – à 74 ans -, est quelque peu voilé, au fur et à mesure qu’un spectacle se prolonge. Constat mesuré aussi durant Lady Madonna. C’est peut-être pourquoi Birthday a remplacé Helter Skelter durant les rappels.

Macca, désir artistique oblige, veut aussi offrir des nouvelles chansons et des relectures, même si ce n’est pas ce que le public désire. N’empêche, sur scène, Save Us est drôlement convaincante. Et FourFiveSeconds, née d’une collaboration avec Rihanna et Kanye West, devient une étonnante beauté quand McCartney l’interprète dans une enveloppe sonore pop-folk.

En revanche, Temporary Secretary, ça va de soi, était électro au possible. Et elle a eu droit à l’une des productions visuelles les plus étoffées de la soirée. Finalement, bien des gens n’avaient jamais entendu en spectacle In Spite of All the Danger, première composition de McCartney et de George Harrison du temps des Quarrymen. Paul l’avait interprétée durant la tournée de 2005 qui n’avait pas fait escale au Québec. On a l’impression de voir Paul à l’époque d’Elvis. Ce qui est logique, la chanson remonte à 1958.

Il va de soi que la majorité des spectateurs ne font pas comme moi. Ils vont voir McCartney pour entendre les succès et non pas dénicher des raretés. Ils ont été comblés avec les émouvantes Blackbird et Here Today, chantées en mode guitare-voix par Macca au sommet de sa scène surélevée. Comme d’habitude, la longue séquence qui précède le rappel était irrésistible. Image touchante de cette dame dans la soixantaine et son grand garçon dans la trentaine qui s’enlacent durant Hey Jude.

Et comme nous étions en Ontario – et pas au Québec -, nous avons eu droit à l’incontournable Mull of Kintyre, avec cornemuses et tout et tout. McCartney joue systématiquement cette chanson au Canada anglais. Parfois, ça vaut le coup d’être en Ontario…

En définitive, ce « road trip » aura été mémorable. Pour l’archiviste musical, le spectacle aura proposé dix chansons – anciennes ou nouvelles – jamais entendues sur scène. Quand même incroyable après toutes ces années… Et pour tout les spectateurs de Hamilton, de Toronto et d’ailleurs, ma foi, Hamilton aura été le centre le plus rassembleur du monde un soir durant.