
Philippe B et le Quatuor Molinari pour l'intégrale de Variations fantômes. Photo courtoisie Montréal en lumière/Jean-François Leblanc.
Si tu espères voir des fantômes, aussi bien sortir à l’heure où ils pourraient être pris d’une envie d’aller prendre l’air. Le deuxième spectacle offert vendredi soir sur le coup de 23 heures par Philippe B et le Quatuor Molinari au Conservatoire de musique était donc tout indiqué : L’intégrale de Variations fantômes en chair, en os et en musique. Somptueux fantômes, en vérité.
Par Philippe Rezzonico
Quelque part, durant l’enchaînement de Reprise et Ma photographe, je me suis dit « Non mais, qu’est-ce que c’est magnifique ! », évidemment en pensée, pour respecter le silence absolu qui régnait dans la salle de concert où Philippe B, le Quatuor Molinari et leurs neuf collègues musiciens nous transportaient dans un univers d’une beauté musicale renversante.
Nous n’avons jamais douté une seconde que la présentation de l’intégrale de l’album de Philippe B allait être un succès, mais on ne pouvait imaginer que ça allait faire un tel effet. Il faut savoir presque toutes les chansons et compositions du disque reposent sur des charpentes de grands morceaux du répertoire classique crées par Saint-Saëns, Strauss, Fauré, Satie, Schubert ou Tchaïkovsky.
Sur disque, l’intérêt est de constater à quel point le travail d’orfèvre de Philippe B permet de lier les emprunts au passé à ses compositions à base folk, éminemment contemporaines. Mais la notion d’échantillonnage demeure bien présente.
Dans l’environnement fade et quelque peu claustrophobe qu’est la salle de concert du Conservatoire, les mêmes oeuvres et compositions jouées par des instruments organiques nous menaient dans une toute autre dimension.
Avec Vivaldi et Strauss
Entendre la descente familière des violons de L’été (Adagio), de Vivaldi, dans un fondu parfait avec la chanson du même nom de Philippe B, donnait l’impression que le compositeur italien et le jeune Québécois avaient construit l’œuvre ensemble. La mélodie recréé par les cordes durant Mort et Transfiguration (d’un chanteur semi-polaire) mettaient Richard Strauss et Philippe B sur un même pied, dans le « propre petit requiem » de l’artiste.
Même sentiment de complémentarité exemplaire avec Les prisonniers du Lac Dufault (qui contient du Racine et du Fauré) et Reprise, nappée d’un superbe pizzicato et d’un emprunt à Satie.
Durant une heure et demie, Philippe B et ses collègues ont offert Variations fantômes en séquence, intercalant uniquement une poignée d’autres titres du répertoire du guitariste qui cadraient dans la sélection, notamment Archipels, Taxidermie (flûte et harpe sublimes) ainsi que Marie, où six musiciens se sont transformés en danseurs l’espace d’un instant. Philippe B avait composé cette chanson pour un projet de danse contemporaine.
Je ne sais trop si la tenue d’un second spectacle le même soir (il y en avait eu un premier à 20 heures) y est pour quelque chose, mais les musiciens étaient calmes et détendus comme on le voit rarement au moment d’accorder leurs instruments. Comme s’ils étaient convaincus que tout aller baigner dans l’huile.
Au plan sonore, aucun doute. Sono impeccable, hormis un microscopique écho. Pour ce qui est de l’exécution, Philippe B était d’une précision extrême avec ses six cordes et personne n’a dérapé derrière lui. Justesse de ton globale et dextérité évidentes.
La performance avait le décorum habituel d’un concert classique, tous les musiciens se levant quand Philippe B est entré dans la salle, comme s’il était le chef d’orchestre. Les membres du Quatuor Molinari (Olga Ranzenhofer, Frédéric Badnarz, Frédéric Lambert, Pierr-Alain Bouvrette) étaient installés en demi-cercle derrière lui, tandis que les autres musiciens (harpe, percussions, flûte, trombone, etc) parmi lesquels ont retrouvait Philippe Breault (contrebasse) et Joseph Marchard (guitare) étaient alignés derrière eux.
Fidèle à son habitude, Philippe B a expliqué la genèse de certaines chansons, du projet lui-même et coloré le tout de quelques anecdotes rigolotes. Pourtant, dans ce contexte un peu plus austère que d’ordinaire, j’avais l’impression d’assister à une classe de maître. Plaisant.
Si nous avons eu droit aux extras que sont Rose de Cactus, Chelsea mon amour et à une deuxième livraison de L’été en rappel, c’est au terme de L’amour est un fantôme, que le corollaire avec l’univers classique était le plus évident. L’ovation monstre reçue par Philippe Bergeron de la part du public et de tous les musiciens était telle que même le maestro Kent Nagano aurait pu être jaloux. Sacrée consécration pour le petit gars de Rouyn-Noranda.