Redécouvrir Édith Piaf, 50 ans plus tard

Édith Piaf en 1962. Photo Wikimedia Commons

Quand elle s’est éteinte il y a 50 ans cette semaine, Édith Piaf était considérée comme la plus grande chanteuse d’expression française au monde. Cinq décennies plus tard, elle l’est toujours.

Par Philippe Rezzonico

On peut jouer le jeu des comparaisons tant que l’on veut auprès des rares chanteuses populaire au rayonnement universel qui l’ont précédée (elle enregistrait dès les années 1930) et des innombrables vedettes qui l’ont suivie, mais la Môme est incomparable.

Souvent, notre rapport musical face à une artiste tient à notre propre parcours, son œuvre ayant jalonné notre vie. Rien de tel pour moi. J’étais encore au berceau quand Piaf nous a quittés en octobre 1963, le 10 ou le 11. Les historiens ne s’entendent pas sur la date.

Pour la petite histoire, Piaf est décédée à Plascassier, tout près de Cannes, mais elle avait fait promettre à son jeune mari, Théo Sarapo, de la ramener à Paris à tout prix, ce qu’il fit dans la nuit suivant son décès, en plaçant le corps enveloppé dans une couverture sur la banquette arrière de son automobile. Comme l’annonce de sa mort a été connue le 11 – le même jour du décès de Jean Cocteau – et qu’elle a été exposée à Paris le 12 et le 13, la date du 10 semble plus plausible.

L’héritage

Depuis quelques jours, je réécoute l’intégrale de son œuvre – quelque 400 chansons enregistrées – et le constat est limpide : aucune interprète n’aura fait vibrer une corde sensible comme elle, même si Juliette Gréco et Barbara sont gigantesques, elles aussi.

La voix, le timbre si particulier, la puissance vocale, la tessiture, l’âme dans l’interprétation… Dans ses chansons de fête, on entend le bonheur dans sa voix. Dans ses titres bouleversants, on ressent tout le poids et la tristesse du monde.

L’histoire invraisemblable de son ascension vers les sommets, sa vie personnelle ponctuée de tragédies et son legs musical auraient largement suffi à l’immortaliser, mais on oublie parfois qu’on lui doit la « découverte » de quelques jeunes talents qui sont, eux aussi, passés à l’histoire. Qu’il suffise de mentionner Les compagnons de la chanson, Aznavour, Montand, Moustaki…

Quelles sont vont chansons préférées de Piaf? Je me posais la même question.

Voici donc une liste personnelle de 25 titres (un multiple de 50, quoi…) qui ne va pas nécessairement au mérite ou en fonction de l’importance historique de la chanson. Bref, plusieurs incontournables, forcément, mais aussi des chansons plus obscures, quoique tout aussi marquantes.

À des fins historiques, la sélection est rédigée en ordre chronologique de parution avec la mention des auteurs et des compositeurs. La mémoire est une faculté qui oublie.

Les dates d’enregistrements des diverses parutions officielles des catalogues Polydor, Philips, Columbia, Decca,, Mercury et Capitol ne concordant pas toujours, dans le doute, on a inscrit les deux dates d’enregistrement potentielles.

L’accordéoniste (Michel Emer), 27 mai 1940 : Les chansons d’inspiration militaire Mon légionnaire et Le fanion de la légion avaient révélé Piaf dans les années 1930, mais L’accordéoniste a bien mieux vieilli et sa construction en diptyque narration/chant allait devenir une structure courante des succès de la chanteuse.

J’m’en fous pas mal (Michel Emer), 9 octobre 1946 : Piaf était du genre à dire ce qu’elle pensait. Cette chanson en est l’exemple parfait. Le ton de sincérité y est omniprésent. Et quelle description de l’amour, des amants et du quotidien de la France tout juste sortie de l’après-guerre!

La vie en rose (Édith Piaf/Louiguy), 9 octobre 1946 ou 4 janvier 1947 : Que dire qui n’a pas été dit sur ce classique parmi les classiques de la chanson française? Sinon que Piaf a hésité à l’enregistrer. Encore aujourd’hui, elle est parmi les chansons les plus jouées ou réinterprétées de l’histoire.

Les amants de Paris (Eddy Marnay/Léo Ferré), 11 juin 1948 : Les amants et Paris sont indissociables de la vie de Piaf. Et nous avons Les compagnons de la chanson en prime. À écouter à satiété dans les rues de Paris en bonne compagnie.

Hymne à l’amour (Édith Piaf/Marguerite Monnot),  2 mai 1950 : La vie en rose sera à jamais la carte de visite mondiale de Piaf, mais quand on sait à qui s’adresse Hymne à l’amour (Marcel Cerdan, l’amoureux de Piaf décédé des suites d’un écrasement d’avion), on réalise que l’on craque encore à chaque écoute, peu importe de quelle génération l’on provient. L’ultime déchirure à un niveau de grandeur phénoménal.

C’est un gars (Charles Aznavour/Pierre Roche), 7 juillet 1950 : Parfois, quand un homme entre dans votre vie, cette dernière change du tout au tout. C’est le constat, ici.

Plus bleu que tes yeux (Charles Aznavour), 15 octobre 1951 : Piaf a enregistré une foule de chansons d’Aznavour. Pour celle-ci, marquante, elle l’a interprété d’une façon sensible à souhait.

Du matin jusqu’au soir, de l’opérette La P’tite Lily (Édith Piaf), 11 avril 1951 : Ou comment s’aimer du lever au coucher du soleil sur un air de valse.

Avant l’heure, de l’opérette La P’tite Lily (Marcel Achard/Marguerite Monnot), 13 avril 1951 : Variations de tempos sur fond musette pour une chanson où tout arrive et où tout est perdu quand on n’est pas là au bon moment. Il y a un temps pour tout.

Padam… Padam (Henri Contet/Norbert Glanzberg), 15 octobre 1951 : Pour le rythme enivrant, la phrase assassine : « des je t’aime de 14 juillet/des toujours qu’on achète à rabais » et une finale explosive avec une note tenue à l’infini.

Je t’ai dans la peau, du film Boum sur Paris (Jacques Pills/Gilbert Becaud), 28 juin 1952: Piaf qui chante le désir sur deux tempos totalement différents, gracieuseté de la musique de Becaud.

Et moi… (Michel Emer), 11 décembre 1953: Sans lui, elle est perdue, chante-telle. Et sur une mélodie imparable de ce calibre, c’est irrésistible.

Sous le ciel de Paris, du film La Seine coule à Paris (Jean Dréjac/Hubert Giraud), 10 avril ou 20 octobre 1954 : Splendide évocation de la Ville-lumière que ma mère fredonnait souvent.

C’est à Hambourg (Claude Delécluse et Michèle Senlis/Marguerite Monnot), 28 janvier 1955 : L’Amsterdam de Piaf, sa chanson de port, de marins et de quittance qui lui colle à la peau.

Les amants d’un jour (Claude Delécluse et Michèle Senlis/Marguerite Monnot) 3 janvier ou 8 février 1956: Comment une chanson évoquant le suicide peut-être aussi lumineuse et bouleversante, tout à la fois? Un chef-d’œuvre d’interprétation.

La foule (Michel Rivegauche/Angel Cabral), 28 février ou 25 novembre 1957 : Impossible d’entendre cette chanson rassembleuse sans penser à l’atmosphère qui devait régner le jour de la Libération.

Les prisons du Roy (Michel Rivegauche), 1957 ou 1958 : Si Édith Piaf avait vécu au 16e ou au 17e siècle, on l’imaginerait chanter ce titre dramatique devant le pont-levis du château.

Mon manège à moi (tu me fais tourner la tête) (Jean Constantin/Norbert Glanzberg), 3 mai ou 3 juillet 1958 : Premier voyage en France. Nous sommes en 1976, dans l’Ardèche, dans une bourgade qui semble sortie d’un film noir et blanc de Fernandel, curé, bérets, vin, fromage et baguettes inclus.

Provenant des enceintes installées sur la « grande place » du village, la voix de Piaf se fait entendre. Du haut de mes 14 ans, je demande à une jeune fille qui doit en avoir 13 de danser avec moi. Vous n’imaginez pas le bonheur de danser sur cette chanson-là dans un village de France lors d’une fête foraine… le 14 juillet. Magique.

Je sais comment (Julien Bouquet/Robert Chauvigny et Julien Bouquet) 5 août 1959 : Mélodramatique, cette chanson permet à Piaf d’y aller d’une ode à la liberté vibrante.

Milord : (Georges Moustaki/Marguerite Monnot), 8 mai 1959 : L’un des plus grands titres où Piaf est à la fois chanteuse, actrice et narratrice. Une véritable pièce de théâtre vocal qui survivra à toutes les époques. Et ce fut le premier et seul tube de Piaf au classement du New Musical Express, en Angleterre, en 1960.

Les amants merveilleux (Robert Gall/Florence Véran), 20 mai 1960 : Écrite par le papa de France Gall, cette – merveilleuse – chanson va comme un gant à Piaf. Et réciproquement.

Non, je ne regrette rien, (Michel Vaucaire/Charles Dumont), 10 novembre 1960 : Vaucaire a-t-il senti venir la fin? Peu importe, rarement une chanson fut plus autobiographique que celle-là et Piaf l’a interprété avec un ton proche de la hargne qui semble indiquer qu’elle l’épousait à tous points de vue.

Mon dieu (Michel Vaucaire/Charles Dumont), 12 décembre 1960 : Piaf qui demande à Dieu lui-même de conserver son amant, cela donne ça.

La belle histoire d’amour (Édith Piaf/Charles Dumont), 12 décembre 1960 : Une des chansons fétiches des générations qui ont suivi, véritable tempête de sentiments.

Marie-Trottoir (Michel Vaucaire/Charles Dumont), 3 février 1961 : Piaf fait presque qu’un clin d’œil à ses débuts. Non pas pour la profession, certes, mais pour le lieu de travail. Et quel piano imaginatif.