À un moment, je me suis pincé. Le type qui était seul sur la scène du théâtre Virgin Mobile Corona mercredi soir ne pouvait être Roger McGuinn. Trop de dextérité dans les doigts. Une voix parfaitement juste. Et la taille et l’allure d’un homme d’une cinquantaine d’années. McGuinn a 70 ans. Ça ne peut pas être lui.
Par Philippe Rezzonico
Et pourtant, le « jingle-jangle» de la Rickenbacker électrique autographiée ne laissait place à aucun doute. Pas plus que la guitare acoustique Roger McGuinn HT7, peut-être bien l’une des seules « 7 cordes » en circulation. Mais ce sont surtout les anecdotes de l’Américain liées à la genèse des chansons légendaires qui nous ont laissé pantois.
Seul un homme qui a vécu l’effervescence musicale des années 1960 et 1970 peut magnétiser un auditoire comme il l’a fait en comptant ses histoires. Roger McGuinn était bel et bien la vedette d’ouverture du Festival Folk sur le canal, mercredi. Et nous avons remonté le temps au fur et à mesure qu’il tournait les pages de son passé.
La téléportation, si je puis dire, fut presque aussi instantanée que dimanche soir, quand les Rolling Stones ont amorcé leur spectacle avec Get Off My Cloud. McGuinn, lui, a opté pour My Back Pages, dont la mélodie qui émanait de sa Rickenbacker semblait calquée sur la version d’origine.
McGuinn avait beau être seul avec ses guitares et son banjo mal-aimé, jamais n’avons-nous eu l’impression que nous étions déficitaires en regard de chansons mythiques qui étaient étoffées au plan de l’instrumentation sur disque et parfois chantées à plusieurs voix.
Homme-orchestre
McGuinn arrivait à être les Byrds (Mr. Spaceman) ou Dylan (You Ain’t Going Nowhere) à lui tout seul, quand il n’était pas Woody Guthrie (Pretty Boy Floyd), Leadbelly (Rock Island Line) ou Cab Calloway (St. James Infirmary Blues). Pour les harmonies, il faut dire que la foule ne se faisait pas prier pour emboîter le pas derechef, quand il le fallait.
Si le McGuinn première période des Byrds, était plutôt un Joe cool un peu distant derrière ses lunettes carrées, le septuagénaire est un as conteur chalereux. Certaines introductions aux chansons étaient aussi bonnes que les interprétations, notamment The Ballad of Easy Rider, écrite « pour un film à petit budget » où le réalisateur (Peter Fonda) voulait une chanson de Dylan. L’anecdote a fait époque. Dylan a écrit quelques lignes sur un mouchoir de table, l’a tendu à Fonda et lui a dit : « Donne-ça à McGuinn. Il saura quoi faire avec. »
On apprend comment McGuinn et Gram Parsons ont concocté Drug Store Truck Driving Man, pourquoi McGuinn a travaillé au Bril Building de New York où l’on façonnait des chansons à la chaîne dans les années 1960, et que Eight Miles High a vu le jour lors d’un vol vers Londres.
Rayon introduction, celle pour 5D (Fifth Dimension) était du tonnerre, quand on entend le thème de Twilight Zone et le laïus de Rod Sterling. J’ai eu une pensée pour le collègue Sylvain Cormier quand McGuinn a livré The Jolly Roger, chanson inspirée du roulis de l’autobus de tournée de la tournée Rolling Thunder de Dylan à laquelle McGuinn participait, tournée qui a fait escale au Forum de Montréal en 1975. Cormier y était. Boucler la boucle, comme on dit.
La rencontre des Byrds
Entre la livraison exceptionnelle de monuments comme Chestnut Mare, de récents titres solides tels Randy Randy Oh, et de chansons cyniques à souhait du genre I Wanna Grow Up To Be A Politician, on revit la rencontre de McGuinn au Troubadour de Los Angeles avec Gene Clark. Et celle avec David Crosby. Et ceux qui l’ignoraient savent désormais que les Byrds ont été mis sous contrat chez Columbia à la suite de la recommandation de Miles Davis, qui partageait le même agent.
J’ignorais, toutefois, que Crosby détestait la première maquette de Mr Tambourine Man que les jeunes Byrds voulaient enregistrer comme premier 45-Tours. Pas assez mordant, pensait Crosby, au moment où les Beatles et les Stones étaient au sommet de l’Olympe.
C’est là que McGuinn eut l’IDÉE. Joignant le geste à la parole, il délaisse sa guitare acoustique pour sa Rickenbacker 12 cordes et il nous balance à la perfection le classique des classiques du groupe. Avec participation de la foule : « Hey!!!!!! Mr. Tambourine Man…. »
Et puis Eight Miles High en mode jam acoustique, et Turn! Turn! Turn! (To Everything There Is A Season) plein son électrique, et So You Wanna Be A Rock N’ Roll Star et, finalement, Knockin’ On Heaven’s Door, comme point final.
Sur le cul, étions-nous. Comment un seul homme avec un unique instrument peut-il être tout un groupe à lui tout seul? Et qui plus est, nous offrir ces titres de légende dans un enrobage impeccable. Je ne veux pas le savoir…
McGuinn nous a ouvert toutes les pages de son grand livre mardi soir, mais il a bien le droit de garder quelques petits secrets.