En langage de sport, on désignerait le triomphe de The Artist, dimanche, aux Oscars, comme étant une raclée : Cinq oscars, dont ceux du meilleur film, de la meilleure réalisation (Michael Hazanavicius) ainsi que du meilleur acteur pour Jean Dujardin. Imaginez les Français qui viennent jouer la Série mondiale de baseball à New York et qui battent les Yankees. C’est ça.
Par Philippe Rezzonico
C’était tellement ça, en fait, que les Américains ont joué le jeu depuis deux semaines. Les prix remportés par The Artist dans tous les galas précédant les Oscars étaient sans équivoque (Trois Golden Globes, sept Baftas, six Césars, etc). Si The Artist ne l’emportait pas dimanche, on aurait imagé cela comme étant le naufrage du Titanic. Partout, on parlait des luttes entre Dujardin et George Clooney, entre The Artist et The Descendants ou Midnight In Paris, et patati, et patata… Mais la cause était entendue pour presque tout le monde.
Soirée de premières historiques pour la France, donc. The Artist devient le premier long-métrage non anglo-saxon à remporter la statuette du meilleur film (quoique les mauvaises langues diront qu’il s’agit d’un film muet) et Dujardin devient le premier Français à remporter la statuette dorée. Trois Françaises s’étaient imposées dans l’histoire de 84 ans des Oscars : Simone Signoret et Marion Cottilard dans un premier rôle, ainsi que Juliette Binoche dans un rôle de soutien.
L’ironie, c’est que la France s’impose avec la recette d’origine qui avait fait les premiers succès américains au temps du muet. The Artist a également remporté l’Oscar remis à la musique et les costumes.
A bien des égards, cette soirée ennuyeuse au possible hormis quelques éclairs lumineux – le numéro du Cirque du soleil, Emma Watson et Chris Rock – aura été prévisible d’un bout à l’autre.
Pas de surprise
The Artist, donc, mais aussi la razzia d’Oscars techniques pour Hugo (en 3D), le troisième sacre de Meryl Streep (meilleure actrice pour The Iron Lady), la victoire méritée du Canadien Christopher Plummer (meilleur acteur de soutien masculin pour Beginners), le sacre d’Octavia Spencer (meilleure actrice de soutien pour The Help) qui a balayé, elle aussi, la saison de la remise de prix, et, malheureusement pour Philippe Falardeau, la domination du film iranien A Separation, face à Monsieur Lazhar.
N’empêche, les grands ont offert des remerciements bien sentis. Plummer, 82 ans, Monsieur Sound of Music, a été brillant en recevant son Oscar, lui déclarant : « Tu as deux ans de plus que moi. Où étais-tu toute ma vie ?»
Quant à Streep, elle a noté que la moitié de l’Amérique avait réagi à son sacre par un grand : « Ahhhhh!!!» de déception. L’actrice a également précisé qu’elle ne gagnerait probablement plus de statuette, peut-être parce qu’elle n’en avait pas remporté depuis 30 ans (Sophie’s Choice). Remarquez, on ne sait jamais, aucune actrice a connu autant de succès à toutes les périodes de sa carrière.
Et, bien sûr, Dujardin, a été à la hauteur du personnage qu’il s’est bâti. Avec son anglais fortement teinté d’accent et boiteux, il a fait ces remerciements d’usage, concluant avec en français avec un explosif : «Oh, putain, merci! Génial! Formidable ! Merci beaucoup!», qui va passer à l’histoire.
Finale prévisible au terme d’une année cinéma marquée par le classicisme et la nostalgie ? Peut-être. Mais la France n’a pas eu bonne presse chez nos voisins du Sud depuis que le pays a refusé de suivre aveuglément les Américains en Irak il y a près de dix ans. Pensez-y… Les french fries étaient devenus des freedom fries.
Ça n’a évidemment rien à voir avec le cinéma, mais le Français moyen était quelque peu devenu un paria au pays de l’Oncle Sam depuis lors. Là, après ce triomphe d’un film muet avec un acteur charismatique et un chien (Uggie) connu à travers le monde, il est possible que certains journaux américains – ces machins qui datent de la belle époque de The Artist – titrent en français Vive la France !
Retour de balancier. Après tout, ce sont les frères Lumière qui ont inventé le cinéma…