
De gauche à droite, The Rascals: Felix Cavaliere, Gene Cornish, Dino Danelli et Eddie Brigati. Photo promotionnelle.
TORONTO – Il y a eu des groupes dont les ruptures ont été prolongées avant les retrouvailles, mais peu de bands ont repris du service avec la formation originale après quatre décennies d’inactivité. Au fait, est-ce que ça c’est déjà vu? C’est pourtant ce que font The Rascals depuis le début de l’année avec Once Upon a Time.
Par Philippe Rezzonico
Après une résidence à Broadway en avril, Felix Cavaliere, Eddie Brigati, Dino Danelli et Gene Cornish ont déplacé leurs pénates pour deux semaines au théâtre Royal Alexander de Toronto afin d’y présenter la production mise sur pied par Steven Van Zandt. Le verdict? Il n’y a pas que McCartney et les Stones qui sont capables de jouer du rock n’ roll à l’âge de 70 ans.
Certes, les Rascals ne sont pas les Beatles, mais le groupe américain n’a pas été l’instigateur d’un seul succès éphémère.
Du moment de leur mise sous contrat chez Atlantic Records en 1965 jusqu’à leur rupture en 1972, les Rascals ont obtenu aux palmarès trois succès numéro 1 (Good Lovin’, Groovin’, People Got to Be Free), trois Top-10 (A Girl Like You, How Can I Be Sure, A Beautiful Morning), trois Top-20 (You Better Run, I’ve Been Lonely Too Long, It’s Wonderful) et quatre Top-40 (Carry Me Back, See, A Ray of Hope, Heaven).
Pas les Beatles, donc, mais un corpus musical qui justifiait amplement la mise sur pied d’un tel spectacle qui est un croisement entre un concert rock et une production de Broadway. L’écran de 50 pieds placé au fond de la scène propose des vidéos, photos, images et effets noir et blanc ou en couleurs pour chacune des quelque 30 chansons interprétées.
Entre les chansons – et parfois même durant -, Felix, Eddie, Dino et Gene commentent le passé, fond des mises en contexte et expliquent comment ils se sont connus. La genèse, quoi. C’est comme si on assistait à un spectacle hommage aux Rascals… avec les Rascals dans le rôle-titre.
Le quatuor, accompagné de trois choristes et deux musiciens, démontre d’emblée sa large palette de couleurs en survolant tous les genres musicaux tâtés dans le passé : It’s Wonderful (pop fleur bleue), I’ve Been Lonely Too Long (blue eyed soul) et You Better Run (rock), avant de remonter le temps de façon chronologique.
On a déjà eu le temps de constater que le temps, justement, n’a pas trop émoussé le talent des vauriens d’antan. Cavaliere (70 ans) a perdu sa taille longiligne, mais son béret est toujours en place, son jeu aux claviers est inspiré et il a encore une voix renversante.
« God! Il a encore voix phénoménale », a lancé mon voisin de siège à l’entracte, lui aussi, un peu coincé dans des sièges d’une autre époque. Le magnifique théâtre Royal Alexandra, de style architectural beaux-arts, a visiblement encore ses fauteuils – rénovés – qui datent de l’ouverture de l’établissement, en 1907.
À la batterie, Danelli (69 ans) exécute encore ses moulinets et la frappe est aussi solide que métronome. À la guitare, Cornish (69 ans) est fougueux comme s’il avait 30 ans de moins et il est encore capable de jouer en effectuant ses déplacements latéraux à la James Brown, quoique de façon moins prononcée.
Quant à Brigati (67 ans), on se demande comment il fait pour chanter, danser et sautiller avec son éternel tambourin, alors qu’il affiche un embonpoint plus que considérable. Mais la voix tient la route. Il aura d’ailleurs droit à une ovation au terme de la touchante How Can I Be Sure.
La musique et l’histoire
La rencontre entre Cavaliere et Danelli dans la grande scène new-yorkaise, puis, celle avec Brigati et Cornish en Angleterre quand Cavaliere s’est joint à la tournée de Joey Dee et ses Starlighters en 1964, les spectacles au Choo Choo Club, au The Barge, la mise sous contrat avec Atlantic : tout est évoqué par le biais d’anecdotes et de chansons de l’époque, que ce soit le fameux Slow Down de Larry Williams repris par les Beatles ou l’entraînante Mickey’s Monkey, de Smokey Robinson et de ses Miracles, interprétée alors que des images des années 60 défilent sur un téléviseur de 50 pieds. Percutant.
Puis grâce, à une revitalisation d’images et des prouesses technologiques, on se retrouve en studio avec The Rascals en 1965, prélude à la livraison de I Ain’t Gonna Eat Out My Heart Anymore. Très réussi et on redouble la mise juste avant d’entendre le légendaire « One, two, three ! » qui précède l’explosion provoquée par Good Lovin’.
Durant deux minutes et demie, nous sommes littéralement téléportés en 1966 par la bombe que les boys livrent avec la ferveur des Young Rascals. Quand on pense que cette reprise n’avait guère eu de succès lorsque interprétée par The Olympics, un an plus tôt…
Sur l’écran, les lettres géantes et les couleurs brillantes se succèdent à un rythme fou. Si une chanson vaut le prix d’entrée d’un spectacle, celle-là fait partie d’une courte liste de classiques. Et ce n’était pas la seule.
Groovin’, avec sa mélodie langoureuse et l’harmonica délicat de Cornish, était belle à pleurer, au même titre que le « protest song » People Got To Be Free fut libérateur. Tout le segment psychédélique fut d’ailleurs fédérateur avec A Ray of Hope, A Beautiful Morning et Heaven.
Outre la qualité indiscutable de la production et de la livraison, c’est probablement le plaisir des quatre vieux potes qui transcende ce spectacle. Certains avaient fait quelques apparitions en 1988 et durant les années 1990, mais les boys n’avaient jamais rejoué tous les quatre ensemble avant 2010, lors d’une œuvre caritative, exactement 40 ans après le départ de Brigati en 1970. Et ils ont un plaisir fou, comme s’ils voulaient rattraper le temps perdu.
Cornish, le seul Canadien du groupe, l’a dit sur scène : « The Rascals sont de retour! ». On attend donc la tournée à Montréal.