Proche, tellement proche, étais-je, de Véronique Sanson, vendredi au théâtre St-Denis, que je peux vous dire que la couture extérieure des jambes de son pantalon de cuir noir est double, que ses bottes sont cloutées, je peux vous dessiner le motif de sa bague et vous dire à quel point la pupille de ses yeux brille comme un diamant.
Par Philippe Rezzonico
Ça arrive une fois par tranche de 150, 175 shows. Un billet de couverture dans la rangée BB… La deuxième du St-Denis. Siège numéro 1. Rien que ça. J’ai eu le CC 1 pour Heart à Wilfrid-Pelletier, l’an dernier. Encore mieux cette fois. J’ai bien été appuyé sur le pied de micro de B.B. King au Spectrum en 1992, mais cette fois, j’avais payé mon billet.
L’avantage de cette position exceptionnelle est parfois un piège pour les artistes, raison pour laquelle les journalistes se retrouvent rarement si proches. Les vedettes ne peuvent se cacher. Même pas faire semblant….
Dans la dixième rangée, il est impossible pour un critique de voir si une artiste regarde fréquemment le souffleur. Véronique Sanson le fait souvent. Pas anormal, cela dit, quand on a plus de 40 ans de carrière.
Artiste à nu
En revanche, de cette distance, chaque émotion de l’artiste est mesurable comme si elle se trouvait sous la lentille d’un microscope. Et sur le visage de Véronique Sanson, on ne lit qu’un plaisir partagé avec son public, une ferveur qui n’a pas pris une ride et des sourires complices avec sa belle bande de musiciens.
«Vous ne pouvez pas savoir ce que c’est, a-t-elle lancé, au début de son ultime rappel de ce spectacle de deux heures. Récompense! Vous êtes une récompense !»
Pas faux. Mais une récompense comme ces ovations à répétition que l’artiste française a obtenu, elle a tout fait pour les mériter. Sanson n’a qu’une façon de faire sur les planches : tout donner.
Debout afin de fouetter la foule avec ses titres les plus dansants ou arc-boutée au piano comme pour extirper le meilleur de ses ivoires, Sanson interprète ses succès parfois avec le même timbre de voix aérien qui nappait ses premiers albums, mais aussi avec une mâche, voire une forme de hargne dans la voix, spécificité qu’elle a développée après des décennies de scène.
En suspension
Rien de compliqué, rayon mise en scène. Pratiquement pour chaque titre, on avait sur l’écran arrière une couleur monochrome (rouge, bleu, jaune, vert) et un élément qui semblait être en apesanteur ou en suspension dans l’air: lune et nuages pour Qu’on me pardonne, plumes pour Annecy, roses pour Amoureuse et gouttes d’eau pour Alia Souza, chanson durant laquelle Sanson a dansé avec l’un de ses choristes masculin. Joli.
Rodé au quart de tour, ce spectacle qu’elle trimbale en Europe depuis deux ans contient une portion centrale au piano qui lui a permis d’offrir le meilleur d’elle-même.
Interprétation magnifique de Je me suis tellement manquée, «une chanson qui me fait quelque chose», enchaînée logiquement avec Le temps est assassin, quoiqu’il ne semble pas avoir de prise réelle sur la dame. Puis, une Amoureuse uniquement en mode piano voix.. Mais avec trois voix. Su-bli-me.
Ce trio placé sous le signe de l’intensité a été équilibré aussitôt par la fougue de Chanson sur ma drôle de vie, Si toutes les saisons et Bernard’s Song, partagée avec l’invité Gregory Charles. La foule a pu lâcher son fou en battant la mesure, quoique la proximité dont on parlait plus haut permettait de noter également qu’on perdait parfois la voix de la belle Véronique dans le mix sonore.
Autre saveur
Le trio de cuivres, omniprésent tout au long de la soirée, a donné une autre saveur à ces chansons intimement liées à une forme de variétés française. Offertes ainsi, elles évoquaient un spectre musical plus large. Juste pour toi (excellente), Alia Souza et La nuit se fait attendre, dans le dernier droit, en ont particulièrement tiré parti.
Comme elle le fait depuis des lustres, la chanteuse pianiste dont la performance avait été précédée d’une courte prestation de son fils Christopher Stills – fiston de Stephen Stills, de Crosby Stills & Nash -, Sanson a bouclé sa soirée au piano non sans avoir présenté ses musiciens un à un à l’avant-scène et mis ses lunettes – « je suis myope comme une taupe – pour apprécier la foule du St-Denis.
Vancouver, toujours irrésistible à ce petit jeu, l’épopée de Visiteur voyageur, et, bien sûr, Bahia, partagée avec la foule, ont permis de boucler cette performance sur une belle note.
Si vous n’étiez pas au St-Denis, vous pouvez revivre ce spectacle en vous procurant la réédition augmentée 40e anniversaire du disque Amoureuse (1972) qui comprend la performance enregistrée à Bruxelles en décembre 2011. Exactement le même spectacle, les mêmes chansons, présentées dans le même ordre.
Et c’est bien la seule déception de la soirée… Dans la mesure que cette tournée de Sanson est celle de ses 40 ans de carrière, il me semble Besoin de personne, troisième immortelle de l’album Amoureuse avec la chanson-titre et Bahia, aurait dû être de la partie. Prochaine fois.