Charles Aznavour: le temps qui va..

Charles Aznavour, lors de son passage à la Maison symphonique, en 2012. Photo Alain Décarie.

ST-JEAN-SUR-RICHELIEU – Le temps. Le temps qui va. Le temps qui court. Le temps passé. Le temps qui a servi si souvent de base d’écriture à Charles Aznavour. Ce temps, inexorable, donc, l’a finalement rejoint, comme on a pu le constater samedi soir, lors de son passage à l’Internationale des Montgolfières.

Par Philippe Rezzonico

C’est tellement vrai, que le chanteur a annoncé la couleur avant même que l’on ne se rende compte de ses nouvelles limites, quand il a dit qu’il ne pourrait probablement pas atteindre certaines notes. Ce dont on ne pouvait se rendre compte après l’interprétation de Viens m’emporter et La vie est faite de hasard, deux chansons récentes composées dans une clé qu’il peut facilement atteindre, même à l’âge vénérable de 89 ans.

On note au passage la classe remarquable et l’honnêteté sans bornes d’un tel aveu. On pourrait nommer ici des chanteurs de 30 à 40 ans plus jeunes qu’Aznavour qui n’osent pas se mouiller de la sorte.

Cela dit, si on avait déjà mesuré une baisse de régime l’an dernier à la Maison symphonique, on avait mis ça sous le coup d’un mauvais soir. L’impression semblait d’autant plus valable en raison de l’annulation (ou le report?) du spectacle prévu à Québec deux jours plus tard.

Rien de ça, ici. Pas de rhume ou de vilaine grippe. Aznavour avait bon pied, bon œil, un sens de l’humour à son zénith et une voix qui portait lorsqu’il s’adressait aux milliers de spectateurs qui n’en revenaient pas de le voir pour une bouchée de pain : une trentaine de dollars, l’entrée aux Montgolfières. Nous étions loin des centaines de dollars pour l’applaudir en salle.

La mise en garde était-elle justifiée? Oui. Dès la première phrase de Paris au mois d’août, on notait l’approche moins vivifiante que naguère et une finale nettement plus écourtée. Pas raté, le monument, mais une livraison diablement mince.

Les montagnes russes

Et là, nous avons eu droit à un curieux jeu de saute-moutons entre classiques et titres plus récents, où la livraison variait énormément.

Interprétation toute en aisance pour Ce printemps-là, voix juste pour Va (superbe mélodie) et la puissance était au rendez-vous pour Mon ami, mon judas, écrite il y a plus de 30 ans, qui a été reprise après un faux départ.

En revanche, L’amour c’est comme un jour a été pratiquement plus récitée que chantée, et elle a été livrée à des lustres de sa souplesse d’antan. Mais la vraie catastrophe, ce fut Mourir d’aimer : le magnifique timbre n’y est plus, la voix fausse… Il n’y restait que l’émotion. Mais à un moment, ça prend plus que ça.

Cela dit, Aznavour reste un chanteur hors-catégorie. Il sait transformer une chanson au besoin. Depuis quelques années, il récite tel un poème un bon bout de Sa jeunesse, ce qui donne une dimension tout autre au texte… et ça lui permet d’éviter une montée en puissance. Brillant.

Phénomène

Cela demeure quand même phénoménal de voir cet artiste de 89 ans faire ses pas de danse durant la toujours très jolie Les plaisirs démodés et livrer Désormais comme s’il avait trente ans de moins. À ce moment, la légende est non seulement intacte, elle est aussi vibrante.

À la fin du mythique récit Les trois mousquetaires, d’Artagnan offre à Athos sa toute nouvelle capitainerie. Le mousquetaire répond : « Ami, pour Athos, c’est trop. Pour le comte de La Fère, c’est trop peu. »

C’est exactement le clivage qu’il y avait samedi, selon les variantes d’assiduité aux spectacles d’Aznavour. Pour des milliers de jeunes et tous les autres qui n’avaient jamais vu la légende vivante, ce concert fut un grand moment, car Aznavour est encore capable de livrer nombre de ses classiques avec la voix, le verbe, le geste et le texte à leur mieux.

Mais pour celui qui a vu depuis trois décennies des spectacles légendaires à Montréal, Paris et New York, le tour de chant de samedi, c’était trop peu. Pensez-y… Il n’y a pas dix ans, on avait droit à 25 chansons du calibre de la Désormais de samedi.

C’est la raison pour laquelle après une interprétation parfaite de Il faut savoir (ma préférée) avec finale pétaradante, j’ai applaudi, souri, rangé mon calepin et tourné les talons.

Et alors que je m’éloignais, tout en entendant décroître derrière moi des versions solides de Mes emmerdes, Hier encore, Elle et Les deux guitares, je pensais néanmoins à une autre chanson: Nous nous reverrons.