Le Festival Osheaga, qui célèbre son 10e anniversaire ce week-end, est né à un moment où Montréal était déjà surnommée « la ville des festivals ». Était-il nécessaire? Indiscutablement. N’importe quel amateur sérieux de musique voyait ce qui se passait ailleurs (Angleterre, Europe, États-Unis) et souhaitait l’apparition d’un festival de musique du même genre où, justement, bien des genres y seraient représentés.
Par Philippe Rezzonico
On le sait, l’aventure n’était pas gagnée d’avance. Mais l’édition 2015 sera la quatrième à afficher salle comble depuis 2012. Retour exhaustif, mise en contexte et survol des coups d’éclats et des ratés des trois premières des neuf éditions précédentes.
2006 : le commencement
Le contexte : Le premier festival d’une durée de deux jours a été présenté lors du week-end de la Fête du travail (2 et 3 septembre). Fausse bonne idée. Pas de concurrence directe – au Québec en tout cas -, il est vrai, mais une case horaire pas nécessairement clémente, rayon temps ou mercure. Risque, il y avait. Et ce fut nuageux le premier jour et il a plu le deuxième.
L’image restée gravée en tête : Quand tu as vu le parc Jean-Drapeau déborder de 42 000 spectateurs pour Metallica en 2003, ce même parc, avec 15 000 entrées pour le week-end, il a l’air immensément désert. L’avantage : l’accès aux toilettes était rapide.
Le spectacle de la légitimité : Si tu veux que ton festival ait une chance de survivre, il faut que ta première tête d’affiche de ta soirée d’ouverture livre la marchandise. C’est ce qui s’est produit avec Sonic Youth. Quand Thurston Moore et Lee Ranaldo ont entrechoqué leurs guitares en les pointant vers le ciel dans un océan de dissonance, le band indé le plus influent de sa génération a donné sa légitimité artistique à Osheaga.
Le spectacle d’exception : Lorsque Wayne Coyne a « surfé » sur les spectateurs le deuxième soir, enfermé dans sa bulle de plastique, The Flaming Lips a montré quelque peu la voie à suivre pour les organisateurs. On peut être dans la marge (indépendant, alternatif) au plan musical, mais aussi savoir exactement ce que cela prend pour combler une foule. Souvenir mémorable.
L’aspect professionnel : la « tente » des médias était plus petite que le plus petit kiosque de n’importe quoi qui se trouve sur le site de nos jours.
La question que tout le monde se posait : Qu’est-ce que ça veut dire Osheaga?
Le constat : Le succès ne fut que critique. Pas commercial.
2007 : Osheaga se cherche
Le contexte : Les organisateurs maintiennent le festival en septembre (8 et 9). Pas idéal. La deuxième année de quoi que ce soit est souvent celle qui passe ou qui casse.
L’année des artistes d’ici : À bien des égards, l’édition 2007 aura été celles des artistes d’ici. On se souvient d’excellentes performances de Dumas, du jeune Patrick Watson et du Sam Roberts Band, notamment, qui ont émaillé le week-end.
L’année (aussi) des artistes britanniques : Ce fut, en réciprocité, une édition où les artistes britanniques étaient fort nombreux et à la hauteur : The Bloc Party, Damian Rice, Paolo Nutini et Arctic Monkeys (en feu!) se sont illustrés.
Le spectacle vraiment pas mémorable : S’il fallait choisir une seule prestation parmi les centaines vues au cours de la décennie qui a déçu en regard des attentes et de la notoriété du groupe, The Smashing Pumpkins mérite – largement – le bonnet d’âne. Offrir un mauvais show, ça arrive à tout le monde. Mais donner l’impression de t’emmerder durant 90 minutes comme Billy Corgan l’a fait le samedi soir, ça tient de la prouesse épique.
Le désistement majeur : On espérait revoir Amy Winehouse à Montréal pour une première fois depuis 2004. Elle a annulé.
Le constat : Le festival cherche encore ses marques, l’achalandage est tout juste à la hausse. Toutes proportions gardées, cette cuvée fut la moins solide du lot. Mais ça n’a pas cassé…
2008 : les claques sonores
Le contexte : Le groupe Spectacle Gillett installe enfin son festival dans une case estivale en le logeant les 3 et 4 août. Et avec des Jack Johnson, The Killers, MGMT et compagnie à l’affiche, ça promet.
L’attaque atomique : Pas d’effets spéciaux et une mauvaise case horaire en plein milieu de l’après-midi? Aucune importance. Le jeune duo des Black Keys a atomisé le parc Jean-Drapeau en ce dimanche après-midi. Je me souviens avoir levé les yeux de mon ordinateur (la – toujours – minuscule tente de presse était pointée vers les scènes principales à l’époque), de l’avoir fermé et de m’être avancé dans la foule pour prendre cette claque sonore en pleine gueule dès les premières mesures offertes par Dan Auerbach et Pat Carney. Jouissif.
Le moment mythique : Iggy Pop, comme s’il avait 20 ans (il en a 59…), qui prend d’assaut la scène avec ses Stooges et un magnétisme qu’une vingtaine d’artistes, tout au plus, ont eu dans l’histoire de la musique rock. Placé à 15 pieds de la scène, je me régale des salves de 1969, Fun House et I Wanna Be Your Dog, mais surtout, je souris à la vue de l’adolescent (15 ans?) dont je vois rien de moins que la peur dans ses yeux quand Iggy fait semblant de plonger dans la foule. C’est ça, un vrai de vrai punk, jeune homme…
Le moment déjanté : Voir la chanteuse de Duchess Says, Annie-Claude Deschênes, complètement déchaînée, quitter la scène MEG et aller se rouler dans la boue avec les spectateurs.
Le coup de cœur : Cat Power.
Le coup d’épée dans l’eau : Duffy, en plein soleil et en extérieur, c’est moins efficace que dans un club.
Le constat : Un vrai succès sur toute la ligne mais avec une affluence, somme toute, encore bien en deçà de la qualité de l’offre musicale. Et une interrogation en suspens… Qu’est-ce que ça va prendre pour que ce festival casse la baraque?
Demain: les années de croissance