FIJM 2014: le bilan de Rue Rezzonico

Verdine White, Ralph Johnson et Philip Bailey, de Earth Wind & Fire. Photo courtoisie FIJM/Denis Alix

Un 35e anniversaire, par définition, c’est copieux. Et lorsqu’il s’agit du Festival international de jazz de Montréal, cela se conjugue par des tas de spectacles en salles et une multitude d’événements extérieurs et de grands événements.

Comme d’habitude, personne ne peut tout voir. Donc, le bilan devient obligatoirement un dérivé du parcours du journaliste. Mais comme il y en avait vraiment beaucoup à voir et qu’il nous manque toujours de temps – et d’heures de sommeil – voici ce que l’on pourrait nommer un bilan complémentaire avec survol.

Voici donc des coups de cœur, des coups de gueule et des commentaires portant sur des spectacles pour lesquels nous n’avions pas encore parlé. Des critiques, comme des disques, doivent avoir une certaine logique. Parfois, des éléments doivent être temporairement mis de côté.

Outre l’excellence de nombre de performances, on se souviendra qu’un festival en été, quand il fait chaud, c’est quand même génial.

Beck, 25 juin, Wilfrid-Pelletier : le type qui ne déçoit jamais. Surtout pas quand il ouvre le feu avec Devil’s Haircut, Loser, Black Tambourine et The New Pollution et qu’il boucle avec Sexx Laws, 1999 et Where’s It’s At. Rendu là, il peut nous offrir toutes les nouvelles chansons qu’il veut entre les deux blocs.

Daniel Lanois, 26 juin Wilfrid-Pelletier : seul ou avec des potes comme Brian Blade, Trixie Whitley et Emmylou Harris, Lanois va encore là ou bien des artistes n’osent pas aller. Et il nous a même offert une séance de cinéma.

Cécile McLorin Salvant, 26 juin, L’Astral : Tous les éloges étaient mérités. Cette jeune femme, cette jeune voix ira loin.

Woodkid, 26 juin, Place des Festivals : Après ce spectacle, le Français Woodkid vient de sceller un pacte à vie avec le public montréalais. Dense, intense, lumineux et explosif, tout à la fois. Et quelle pétarade de tambours et de cuivres dans la dernière demi-heure. Il a même versé une larme.

Trixie Whitley, Club Soda, 27 juin : des chansons qui marquent, qui guitare qui tue et la meilleure déclaration de l’année sur scène: « Je suis enceinte ! », afin d’expliquer pourquoi elle venait de saloper une chanson.

The Mike Stern Bill Evans Band, 27 juin, Théâtre Jean-Duceppe: une guitare en feu, un saxophoniste brûlant et un bassiste déjanté (Tom Kennedy). Tout pour mettre le feu aux poudres.

Beth Hart, 28 juin, Club Soda : elle est déjà géante en Europe, la « Janis » moderne à la voix monumentale. Après sa prestation sur une scène extérieure et celle au Club Soda…. Voir définition de Woodkid.

Keith Jarrett, 28 juin, Maison symphonique : on s’attendait au pire. On a eu droit au meilleur. Un piano aérien, un jeu divin et même des sourires, de l’humour et de la bonne humeur. Le miracle et le meilleur show jazz du festival (NDLR : c’est en France, c’est semaine, que Jarrett a fichu le camp de la scène en deuxième partie. Échappé belle, comme chantait Beau Dommage.)

Elvis Costello, 29 juin, Maison symphonique : Disons-le franchement. Nous nous sommes fait avoir par le deuxième Elvis du nom. Non, il n’était pas obligé de jouer plus de 90 minutes. Mais comme il n’avait pas fait un seul spectacle de moins de deux heures et quart dans les autres villes, il est difficile d’accepter qu’il l’ait écourté pour aller assister au spectacle en pleine air de sa blonde.

Diana Krall, 29 juin, Place des Festivals : Que ça fait plaisir d’entendre quelque chose qui ressemble sérieusement à du jazz-vocal pour un grand événement. Raffinée, sophistiquée, Diana Krall, elle, a rempli son mandat et même plus, car son Elvis de mari est venu jouer trois chansons avec elle. Il est – partiellement – pardonné.

Ambrose Akinmusire, Gésù, 30 juin : Le trompettiste, homme des audaces tranquilles, a proposé son univers en constante évolution d’où ne sont pas exclus les éclats et les explosions. Envoûtant.

Earth Wind & Fire, 30 juin, Wilfrid-Pelletier: l’attaque tous azimuts de funk, soul et r& b, par l’un des groupes phares du genre. Philip Bailey, Vernine White, Ralph Johnson et leurs copains ont mis la grande Wilfrid sens dessus dessous. Message aux jeunes collègues journalistes qui se reconnaitront: il ne faut pas dire que Maurice White est sur scène avec ses collègues. Il ne l’est plus depuis 1994…

Emilie-Claire Barlow, 30 juin Place des festivals : ému, étions-nous, de voir l’excellente Emilie-Claire triompher avec panache devant des milliers de personnes. Elle qui apprend le français pour mieux chanter dans notre langue. Sa version jazz-pop de Ces bottes sont faites pour marcher était irrésistible de swing et sa version française de Until It’s Time For You To Go était belle à pleurer.

Brad Mehldau, 1er juillet, Maison symphonique : Jarrett a été impérial. Mehldau a été royal avec sa touche particulière qui donne l’impression que sa main gauche et sa main droite ne sont pas reliées au même cerveau. La différence? Jarrett ne sait jamais trop où il va aller et il nous demande de la suivre. Mehldau le sait très bien, car il amorce ses mouvements avec une chanson, un thème ou une mélodie bien précise, de laquelle il amorce l’improvisation et le voyage. Personne n’est perdant.

Vintage Trouble, 1er juillet, Place des festivals : avec des collègues de l’industrie, on se disait avant le show que Vintage Trouble aurait du mal à remplir le Métropolis. Après ce spectacle de blues-rock vivifiant devant des milliers de spectateurs durant lequel le chanteur Ty Talyor (un Bruno Mars plus brut et plus rugueux) est monté sur la tour et s’est promené longuement dans la foule, on se disait que le Métropolis est probablement trop petit.

Christian McBride Trio, 1er juillet, Gesù : Mon idée d’un trio jazz qui n’est pas révolutionnaire, mais qui ne fait pas du sur-place non plus. Avec le robuste contrebassiste, l’énergie est toujours au rendez-vous et il est assez aventureux pour plaire aux puristes et tout en étantaccessible pour ceux qui ont une certaine conception d’un jazz rétro.

Tigran et Brad Mehldau, 2 juillet, Gesù : Curieux, cette rencontre entre deux des meilleurs pianistes de leurs générations respectives. Tigran, l’hôte, a dicté le plus souvent les thèmes, les motifs et les climats, mais le discours pianistique a penché très souvent vers l’univers planant de Mehldau, comme si Tigran avait laissé une bonne partie de sa fougue proverbiale au vestiaire. Comme si, surtout, aucun des deux ne voulait tirer la couverture de son bord. Ce fut très souvent ravissant, parfois déroutant, mais j’ai songé très souvent à la rencontre entre le Duke et John Coltrane au début des années 1960 : nous sommes restés un peu sur notre faim.

Aretha Franklin, 2 juillet, Wilfrid-Pelletier : rendons justice à la reine du soul. Elle a très bien interprété Angel et elle a torché I Never Loved A Man (the Way That I Loved You). Tout le reste était à l’avenant : inspiration, sélections de chansons et finale de spectacle surréaliste avec le retrait des faux cils, de la perruque et l’interprétation dans les coulisses de The Way We Were. Comment détruire une réputation…

Tigran, 3 juillet, Gesù : flanqué d’un groupe quelque peu différent de ses derniers passages collectifs (pas de saxo, mais un guitariste), Tigran, parfois rageur, a retrouvé ses marques avec son Shadow Theater et le quintette a notamment fait sauter le plafond avec une pièce de 20 minutes avec des montées en puissance qui s’empilaient comme autant de paliers de crescendo. Seul bémol – c’est très relatif -, il a laissé beaucoup – trop ? – de place à ses talentueux collègues.

Diana Ross, 3 juillet, Wilfrid-Pelletier : I’m Coming Out, Upside Down, The Boss, Don’t Explain, Where Did Our Love Go, Baby Love, Stop! In the Name of Love, You Can’t Hurry Love, Love Child… Vous en voulez des succès? Pas moins de 13 # 1 sur 20 chansons, un band du tonnerre et une voix éclatante comme si nous étions encore dans les années 1960 et 1970. La reine de Motown a éclipsé la Queen of Soul comme si elle était une vulgaire débutante. Le meilleur spectacle pop du festival.

Jill Barber, 5 juillet, Club Soda : quand Jill Barber chante Let’s Call It Love, Sous le soleil de Paris ou n’importe quoi d’autre d’ailleurs, nous avons droit au même joli grain de voix qui fait son charme depuis ses débuts. Un tour de chant impeccable et l’une des jolies présentations de musiciens vues ces dernières années.

B. B. King, 5 juillet, Wilfrid-Pelletier: le moment le plus pénible du festival. Voir une légende mourir sur scène. Rien à ajouter.

Gianmaria Testa, 6 juillet, Gésù: le remède à toutes les tragédies. Un auteur-compositeur interprète qui roucoule en italien, nous conte des histoires formidables en français et nous redonne l’espoir en l’espèce humaine. Un régal.

Maxwell, 6 juillet, Wilfrid-Pelletier : premier passage du chanteur américain. Belle gueule, monsieur athlétique, charisme et femmes – particulièrement de race noire – en pâmoison. Entre le charme indéniable et les propos « dirty », Maxwell a fait mouche. Pas mal, d’ailleurs, ce duo avec une Alicia Keys virtuelle sur grand écran. Mais faut aimer le genre slow groove ou être en amour pour apprécier ce spectacle à sa juste valeur.

Delltron, Place des festivals, 6 juillet : du hip hop, des cuivres, des cordes, un DJ (Kid Koala), de la soul. Bref, un amalgame de bien des genres qui a tenu la route. Pour que je danse tout le long, c’est significatif. En revanche, c’était moins percutant que Woodkid. Ce qui nous renvoie à la question récurrente. Un grand événement doit-il absolument être explosif. Non.

Christine Jensen, 6 juillet Gésù : le triomphe de Jensen et de son orchestre. La musicienne maîtrise pleinement le langage orchestral. Elle monte des structures solides, s’amuse avec les timbres et dose les sonorités dans un bel équilibre. Les absents – il n’y avait pas salle comble – ont eu tort.

Betty Bonifassi, 6 juillet, Club Soda: Quand Betty chante comme ça ses chants d’esclaves, nous sommes en transe ou en pamoison, c’est selon. Goûteux à souhait et soutenu par un flot d’images marquantes, Il aurait juste fallu que ça dure un peu plus de 65 minutes, rappel compris.