Captiver un auditoire n’est déjà pas une tâche facile. Y parvenir en interprétant surtout de nouvelles compositions relève carrément de l’exploit. Cet exploit, une des étoiles montantes de la scène jazzistique, le trompettiste Ambrose Akinmusire, et ses amis l’ont accompli lors du concert présenté dans le volet Jazz dans la nuit dans la petite salle du Gesù bien remplie pour l’occasion
Par François Vézina
C’est d’autant plus méritoire car Akinmusire aurait pu facilement se reposer sur les lauriers récoltés après la parution de son excellent When The Heart Emerges, l’an dernier.
Mais, comme le rappelait l’audacieux jeune homme aux spectacteurs: «C’est si facile lorsque vous êtes si attentifs.»
Facile, facile, c’est vite dit. Après tout, la musique d’Akinmusire s’enracine davantage dans une mouvance post-free plus abstraite que dans un néo-bop débridé ou un jazz-fusion réchauffé. C’est dire le défi.
Et dès l’entrée de jeu, une nouvelle composition intitulée Merry Christie, le ton est donné. Après une introduction solo du trompettiste, le quintette cherche et parvient à établir l’atmosphère recherchée. La pulsion rageuse de la section rythmique – Justin Brown (batterie) et Harish Raghavan (contrbasse) – donne l’occasion aux musiciens de se libérer de la temporalité, de se créer des espaces qui leur permettront de bien se mouvoir sans se brûler dans le feu de leur inventivité.
Le quintette démarre rarement sur des chapeaux de roue. Le ton donne place à une certaine mélancolie mais le jeu collectif gagne en intensité au fur et à mesure du déroulement de la pièce, chacun apportant sa petite voix. Les musiciens se connaissent depuis longtemps et leur cohésion est parfaite. Une seule fois, lors du début de la quatrième pièce, Akinmusire partira en trombe, comme s’il jetait un défi à son équipe, un défi relevé avec brio, bien entendu.
Le jeu d’Akinmusire apparaît abstrait. Il se veut mélodique dans les registres grave et médium, plus aventureux et plus hasardeux dans l’aigu. Il s’amuse à jouer à saute-octave, n’hésitant pas à faire éclater une note aigüe alors qu’il développe une ligne plus grave.
Le saxophoniste Walter Smith est très à l’aise dans cette ambiance. Ses chorus sont plus enjoués, plus enracinés. On y perçoit parfois l’influence d’un Steve Coleman.
Mais c’est Sam Harris, le pianiste, qui est le véritable héros de la soirée. Il tient la baraque comme pas un. Il est l’ancre du groupe, celui qui empêche tous de partir dans leur bulle individuelle. Parfois débridé, parfois succinct, il peut, de quelques accords, relever le jeu de tous ses copains. Par exemple: ses petites notes bien plaquées ont donné un toute autre allure au bruyant solo de Brown.
Et quelque 90 minutes après l’audition des premières notes, lorsque se conclura le concert, personne n’aura quitté son banc. Chapeau bas messieurs!