
Philippe B et le Quatuor Molinari. Triomphe, prise II. Photo courtoisie FrancoFolies/Frédérique Ménard-Aubin.
Petite appréhension, mardi, avant d’entrer au Club Soda afin de revoir Philippe B et le Quatuor Molinari refaire l’intégrale de Variations fantômes. C’était tellement parfait et émouvant lors de la deuxième représentation offerte au Conservatoire en février, lors du Festival Montréal en lumière, que je craignais gâcher mon souvenir.
Par Philippe Rezzonico
Rien de ça, quoique l’impact de la performance fut très différent, principalement en raison du changement de salle. Il est rare qu’une salle influence une performance, mais, ici, ce fut patent.
Sur la scène très large scène complètement épurée du Conservatoire, Philippe B et ses collègues avaient de l’espace, le son était impeccable, sans aucune exagération, et le jeu de lumière, minimaliste et diffus, privilégiait les éclairages horizontaux. La position des sièges – comme à Wilfrid-Pelletier -, incitait également les spectateurs au mutisme le plus complet. Et signe que nous étions dans une salle de spectacle taillée sur mesure pour le répertoire classique, on affichait le décorum qui va d’ordinaire avec l’exercice.
Dans le Club Soda, Philippe B. et ses collègues étaient entassés comme des sardines sur la trop petite scène, ce qui nous empêchait d’apprécier comme il le fallait le travail de certains instrumentistes. Fallait chercher le tromboniste Renaud Gratton, le percussionniste Liu Kong Ha et la harpiste Eveline Grégoire-Rousseau, cette fois presque complètement cachée derrière son massif instrument.
Le jeu de lumière orienté cette fois à la verticale donnait une autre image de l’ensemble, plus gaillarde. Et avec la présence de deux bars dans le club, nous avions droit aux incontournables petits bruits récurrents. La grande différence fut toutefois le volume du son, comme si on voulait couvrir les excès d’une une foule bavarde, ce qui ne fut pas le cas.
Là où les Variations fantômes de février étaient souvent empreintes de douceur, cette fois, elles étaient presque musclées, surtout dans les pièces où les 14 musiciens contribuaient ensemble. Un peu dérangeant pour Hypnagogie et Le tombeau de Nick Drake qui n’avaient pas besoin d’une telle puissance de feu.

Variations fantômes, deuxième service, perception différente, même triomphe. Photo courtoisie FrancoFolies/Frédérique Ménard-Aubin.
Les réactions étaient tout aussi différentes. En février, on applaudissait de façon nourrie – quoique pas entre toutes les chansons – mais ordonnée, pour ne pas rompre la magie qui s’était installée. Cette fois, chaque pièce était saluée par des applaudissements et des cris dignes d’un show rock.
A l’arrivée, on a apprécié les livraisons de L’été, les cordes sensibles durant Nocture #632, les pizzicatos de Reprise et Ma photographie, ainsi que l’intégration impeccable de la guitare et des cordes pour California Girl.
N’empêche, le triomphe – annoncé – fut différent. En février, on avait l’impression que le « chanteur semi-populaire » qu’est Philippe B intégrait le monde classique. Cette fois, on avait l’impression que l’univers classique venait prêter main-forte au populaire chanteur que devient Philippe B.
Le retour
Au théâtre Maisonneuve, Hughes Aufray faisait un retour aux Francos après 17 ans d’absence. Une paille. C’est ce monsieur au sourire engageant, au pas ferme et à l’humour bien senti qui a fait découvrir Bob Dylan à une génération complète de Français au début des années 1960. Normal que le début de son spectacle soit formé de ces chansons-là.
Je comprends l’intérêt pour les Français de cette génération comme mes parents d’aimer ça, mais pour quiconque ayant découvert Dylan par l’entremise de… Dylan, cette portion n’était rien de moins qu’un spectacle de reprises.
En intégrant les refrains en anglais à ses versions françaises, Aufray ne faisait qu’accentuer le gouffre entre les originales et les reprises. Et pas à son avantage, car comme il le dit lui-même, les Français ne savent pas parler d’autres langues : « Ze answer my friend, iz blowin’ in ze wind », très peu pour moi…
Si, encore, les livraisons étaient optimales… Mais non. Les musiciens d’Aufray jouaient plutôt mince en général et durant Comme des pierres qui roulent (Like a Rolling Stone), Aufray a tellement dérapé dans le haut registre, qu’il semblait s’égosiller. J’avais mal pour lui autant que pour mes oreilles… Et je ne vous parle pas de Prends la vie comme telle (You Never Can Tell, de Chuck Berry)… Au secours ! Seul grand moment de ce segment à mes yeux, Quand j’entends siffler le train (500 Miles, de Peter Paul and Mary), vraiment magnifique.

Hugues Aufray. On aurait tellement voulu aimer ça... Photo courtoisie FrancoFolies/Jean-François Leblanc.
Puis, Aufray a donné une pause à ses jeunes collègues pour prendre sa guitare, et il a enchaîné en mode guitare-voix Le petit âne gris, Des jonquilles aux derniers lilas (splendide), Dès que le printemps revient, Le Rossignol anglais et Adieu Monsieur le professeur, cette dernière chantée à l’unisson par la foule.
Voix mieux ajustée ici, mais ce sont ces chansons-là qu’on voulait entendre avec les arrangements pop d’origine. D’autant plus que Aufray a hésité sur les paroles du Rossignol. Sentiment d’inachevé, ici.
Aufray a ensuite offert deux titres de Félix Leclerc, celui qui lui l’a incité à chanter en français et qui lui a permis de gagner sa vie entre 1948 et 1958. On comprend l’émotion du monsieur pour œuvre de Félix, mais de mon fauteuil, ses offrandes à lui me faisaient bailler.
Plus capable… J’ai quitté la salle. Une première en 27 ans de métier pour n’importe quel artiste français, québécois ou anglo-saxon ayant plus de 30 ans de carrière devant moi. Fallait-il que je m’emmerde… Ne m’envoyez pas de courriels de bêtises. Allez lire mon pote Cormier, tiens… Lui, il a adoré ça.
De blonde à bombe
Le spectacle de Cœur de pirate était amorcé depuis un quart d’heure quand je me suis pointé au Métropolis. La petite robe noire vue en février lors de la rentrée de Béatrice Martin au festival Montréal en lumière avait fait place à une jolie robe rouge estivale ample, obligatoire en raison de son bedon rond sur lequel était agrafé un carré rouge.
Mais la plus grande distinction était la livraison. On s’attendait à ce que toutes les chansons de Blonde et les autres désormais classiques affichent plus de cohésion après des mois de tournée, mais c’était bien plus que ça.

Coeur de Pirate, photographiée à sa première de février, était plus en forme et confiance que jamais, mardi, au Métropolis. Photo courtoisie Montréal en lumière/Frédérique Ménard-Aubin.
Jamais je n’ai vu Béatrice Martin s’exprimer sur scène avec tant d’assurance et être aussi audible. Elle a même modifié la séquence de chansons qui avait été remises aux journalistes. Pas de problème, on aime ça comme ça… Quoique quelques collègues aux prises avec des heures de tombées draconiennes étaient dans l’embarras. Faut juste pas écrire son texte avant que le show finisse…
Qui plus est, jamais la voix de Cœur de pirate ne m’a semblé si ronde, comme si le bébé requin (sic) qui est dans son ventre avait modifié quelque peu son timbre. Danse et danse et Ensemble ont été fougueuses, Pour un infidèle a été bien partagée avec Jimmy Hunt et Place de la république était somptueuse à souhait.
Au rappel, Cœur de pirate a surpris tout le monde en interprétant une reprise en français pour une toute première fois de sa jeune carrière, à savoir, Les sentiments humains, de Pierre Lapointe, qui d’ailleurs était sur place. Et ce, accompagné uniquement du Quatuor Molinari qui était passé du Club Soda au Métropolis.
Fort intéressante interprétation sans filet, quoique là où Pierre chante cette chanson comme une déchirure vivre, Cœur de Pirate la livre comme un constat du quotidien. Normal, en raison de la décennie d’écart entre les deux auteurs compositeurs. Perception différente.
Restait à conclure avec la pimpante Adieu, quoique le véritable au revoir aura lieu, vendredi soir, dans la même salle, environ deux mois avant l’accouchement prévu de la jeune maman en devenir.