Gary Carter ou la fureur de vaincre

C’était un lundi d’octobre 1981. Noir. Le fameux Black Monday. Ça faisait 30 minutes que les Dodgers venaient d’éliminer les Expos au terme de la série de championnat et j’étais toujours assis sur mon siège dans le niveau 103, des larmes perlant sur mes joues. Je n’ai plus jamais pleuré en public depuis lors. A 19 ans, faut croire qu’on est émotif et pas toujours sorti de l’adolescence… On venait de me voler ma Série mondiale. Je me disais que j’étais le gars le plus malheureux de la terre. Là, je me trompais lourdement. Il y en avait un qui était plus dévasté que quiconque sur la planète : Gary Carter.

Par Philippe Rezzonico

J’ai repensé à tout ça en un éclair, jeudi, quand les images de Carter défilaient sur tous les écrans à la suite de l’annonce de sa mort aux mains du cancer. On remontrait les images du « Kid », son visage enfoui dans ses mains dans l’abri des joueurs des Expos, quelques instants après cette défaite crève-cœur.

Est-ce que quelqu’un a déjà voulu gagner plus que Gary Carter au baseball ? Peut-être. Pete Rose, tiens…. Mais Rose trichait. Pas Gary. Jamais. Ni face aux fans, à ses coéquipiers ou à son sport. Une seule vitesse : à fond de train. Tout le temps.

Ça ne faisait pas que des heureux. Si les journalistes qui avaient constamment de la bonne copie de la part du receveur étoile étaient redevables, certains coéquipiers maugréaient. Normal, dans un sport compétitif. Sauf que Carter était constamment dans cet état d’esprit. Il ne jouait pas un rôle devant les caméras même si son attitude lui a valu le surnom de « Kid Kodak. »

Toujours présent

Et il était mérité, ce surnom. Quand la soupe chauffait, Carter répondait présent. Tu avais besoin de Carter pour disputer un ou deux programmes doubles dans le dernier droit de 1979 ? Pas de problème. Tu avais besoin d’un coup sûr ou d’une longue balle dans les séries face aux Phillies en 1981? Carter en a frappé deux et maintenu une moyenne de .421 contre Philadelphie. Lors des cinq matchs contre les Dodgers : moyenne de .438. Ce n’est pas à cause de Carter que les Expos ont raté la Série mondiale.

Le match des étoiles de cette même année? Carter amorce la rencontre derrière le marbre parce que son idole Johnny Bench joue désormais au premier but. Il frappe deux circuits et remporte le titre de joueur par excellence. Il le remportera de nouveau quelques années plus tard. Et quant à son jeu défensif, il fut exemplaire, gracieuseté de son bras canon. Même Bench – qui lui était supérieur globalement – ne récupérait pas les fausses balles derrière le marbre avec autant d’aisance que lui.

Le triomphe

Après son passage aux Mets de New York au terme de la saison 1984, Carter a su briller quand il le fallait. On a tous vu un million de fois la séquence du sixième match de la Série mondiale de 1986 entre les Mets et les Red Sox de Boston, quand Bill Buckner laisse filer le roulant de routine de Mookie Wilson, pavant la voie à la victoire des Mets. Mais qui a frappé le coup sûr qui a amorcé la remontée des Mets qui tiraient de l’arrière 5-3 en 10e manche ? Carter, bien sûr.

Et tous se souviennent de sa dernière présence au bâton, à Montréal en 1992, quand il a claqué un double au-dessus de la tête de son frère ennemi, Andre Dawson. Compte de fées jusqu’à la fin.

Ce que Carter ne pouvait pas prévoir, c’est que le contrat de plusieurs années de deux millions $ par année qu’il avait signé en 1982 allait se retourner contre lui. Quand le proprio dit 24 mois plus tard qu’il regrette d’avoir versé un tel salaire, tu sais que tes valises sont proches de la porte. L’ironie, c’est que si un receveur du calibre de Carter en 1982 (il était alors âgé de 28 ans) existait en 2012, il y aurait probablement une demi-douzaine d’équipes qui voudraient lui offrir un contrat de 300 millions pour dix ans.

Ardeur et popularité

Je me dis que les jeunes partisans du Canadien nés l’année de la retraite de Carter (1992) ne peuvent imaginer qu’un joueur de baseball puisse rivaliser de popularité avec les joueurs du CH à Montréal. C’était pourtant le cas. Autre ironie : l’échange de Carter et la (première) retraite de Guy Lafleur sont survenus à quelques semaines d’intervalle. La fin de deux époques…

Bien pis, je me dis qu’un Scott Gomez – du moins, son équivalent au baseball – se ferait rentrer dans le mur du vestiaire des Expos par le Carter des éditions 1979, 1980 ou 1981. Un flanc mou pareil ne survivrait pas deux semaines autour des Carter, Dawson, Parrish, Cromartie, Scott, Raines et Valentine de l’époque. Oui, Ellis se traînait les pieds… mais il frappait.

Vu que je suis quinquagénaire depuis sept jours, je n’ai pas versé de larme quand j’ai appris le décès de Carter. Mais quand j’ai revu les images d’il y a 30 ans, j’avais la gorge nouée. A l’époque, je me disais qu’on ne repasserait jamais si près de la Série mondiale. On aurait pu en 1994…mais il y a eu grève.

Mais je me disais surtout en (re) voyant la fougue de Carter à l’écran, qu’il soit possible qu’on ne revoie jamais un sportif professionnel de son calibre démontrer tant d’ardeur de vaincre dans n’importe quel uniforme d’équipe sportive à Montréal, d’autant plus que la carrière d’Anthony Calvillo tire à sa fin.

Salut, le « Kid ». Frappe-là de l’autre côté de la clôture pour moi, où que tu sois.