Véritable petit bijou, ce superbe album est un bel exemple de la grande grâce du formidable quartet européen de Keith Jarrett, comme si le pianiste s’était laissé inspirer par la beauté glacée des lumières boréales.

Par François Vézina

Signataire des six titres de l’album, Jarrett sait se montrer charmeur et il séduit en offrant de simples et mélodieuses ballades.

Si, en toute subjectivité, la poignante My Song remporte la palme sur le plan de la beauté formelle, d’autres pièces comme l’envoûtante My Country et la splendide Questar ont leur place au podium.

The Journey Home nous fait entendre un Jarrett fin et subtil compositeur. Le fort joli thème exposé par un Jan Garbarek serein laisse place à un deuxième mouvement plus entraînant au rythme incantatoire. Une courte escale et voici le troisième mouvement, un air qui ne se serait pas senti déplacé dans un film de série noire.

Une exception à ces climats de beauté introspective: Manala, sorte de fuite en avant dans un univers plus abstrait, permet au groupe de ne pas se laisser enfermer dans un carcan, aussi beau soit-il. Sur un tempo pris en urgence, Garbarek et Jarrett se lancent dans des intervalles inusités, brisant l’ambiance ouatée des pièces précédentes.

Un pianiste en grande forme

Jarrett-le-musicien est en aussi grande forme que le compositeur. Improvisateur inventif, il prépare magistralement ses solos, les interprète de façon aussi brillante avant de revenir tout naturellement au thème.

Ses nuances donnent du relief à ses pièces. Et il est un accompagnateur hors-pair, soulignant intelligemment le jeu du saxophoniste d’un déluge de notes ou en le poussant dans ses retranchements à l’aide d’un ou deux accords répétés.

Le romantisme parfois exacerbé du pianiste se marie parfaitement au lyrisme aérien de Garbarek. Le saxophoniste norvégien régale nos oreilles par ses splendides interventions bien maîtrisées qui ajoutent une étrange sensualité aux compositions.

La section rythmique est impeccable; Palle Danielsson et Jon Christensen sont des choix heureux. Peu volubiles, tous deux procurent l’énergie qui convient au climat ambiant, procurant à l’ensemble une belle densité.

Entre ses pérégrinations solitaires et l’aventure du Standart Trio (sans oublier le quatuor américain), le quatuor européen est une étape importante dans la carrière de Jarrett, le fortifiant dans le goût de la mélodie bien ficelée et d’une discipline bien assumée. Quiconque – Manfred Eicher, le patron d’ECM, si on en croit Jan Garbarek – a eu l’idée de réunir ce groupe a bien mérité de la patrie jazz.

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Le Top 50 de Frank (no 35): Keith Jarrett: My Song

Étiquette: ECM

Enregistrement: Novembre 1977

Durée: 48:35

Musiciens: Keith Jarrett (piano), Jan Garbarek (saxophone ténor, saxophone soprano), Palle Danielsson (contrebasse), Jon Christensen (batterie, percussions).