Les Trois Mousquetaires: se démarquer du passé

Aramis (Luke Evans), Athos (Matthew Macfadyen), Milady (Milla Jovovich) et Porthos (Ray Stevenson). Qu'est-ce qui cloche? Photo courtoisie Alliance.

La transposition de n’importe quel ouvrage littéraire au cinéma pose un problème récurrent : l’incapacité de reproduire en quelque deux heures les intrigues et situations de centaines ou milliers de pages dont elles sont issues. Pour un roman comme Les Trois Mousquetaires, ce n’est toutefois pas le seul écueil de taille.

Par Philippe Rezzonico

Le célèbre roman d’Alexandre Dumas compte parmi les ouvrages les plus souvent adaptés au grand et petit écran. Peu importe votre âge, vous avez sûrement vu au cinéma ou à la télévision une adaptation mettant en vedette D’Artagnan, Athos, Portos et Aramis. Peut-être même au théâtre, Dumas ayant lui-même transposé son roman aux planches l’année suivant sa parution en feuilleton (1844).

D’où la question incontournable que réalisateurs et producteurs se posent en vue d’une nouvelle mouture cinématographique d’un classique maintes fois adapté : «Que fait-on pour se démarquer des versions précédentes ?»

Pour l’amateur de littérature, la question est tout autre. Jusqu’à quel point peut-on modifier les faits et les intentions des personnages, sans que le film qui porte le nom du livre ne dénature l’œuvre de base?

Non seulement une version cinématographique d’un film tente-elle, d’ordinaire, d’être la plus fidèle au bouquin, mais elle est presque toujours liée à une époque particulière, sauf lorsque le roman est une totale fiction.

Les racines de l’histoire

Que ce soit Millenium, dans la Suède contemporaine ; Roméo et Juliette, dans l’Italie de fin de XVIe et début de XVIIe siècle ; Les filles de Caleb, dans le Québec du tournant du XIX et XXe ; ou Les Trois Mousquetaires, dans la France du XVIIe ; il y a parfois des dates, des faits ainsi que des personnages historiques incontournables.

Louis XIII, le Cardinal de Richelieu, le Duc de Buckingham, M. de Tréville (capitaine des mousquetaires) et Anne d’Autriche sont des personnages historiques. Les véritables soldats qui ont inspiré les personnages romancés que sont D’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis ont également existé, quoique pas exactement comme Dumas les présentait dans ses romans. Finalement, Milady et Lord de Winter, Constance et M. Bonacieux, ainsi que les valets des mousquetaires (Planchet, Bazin, Grimaud et Mousqueton) sont fictifs.

Orlando Bloom et Christoph Waltz personnifient les personnages historiques que sont le Duc de Buckingham et le Cardinal de Richelieu. Photo courtoisie Alliance.

Dans ce genre d’exercice, les scénaristes extirpent ce qu’ils désirent d’une œuvre. Les adaptations les plus anciennes des Trois Mousquetaires étaient généralement proches du roman d’origine. La trilogie des années 1970 et 1980 de Richard Lester, avec une constellation d’étoiles formée de Michael York (D’Artagnan), Oliver Reed (Athos), Faye Dunaway (Milady), Charlton Heston (Richelieu), Richard Chamberlain (Aramis) et Raquel Welch (Constance Bonacieux), fut probablement celle qui survolé l’œuvre des Trois Mousquetaires et de Vingt Ans après de la façon la plus exhaustive qui soit.

A l’inverse, The Man In the Iron Mask (1998), avec Leonardo DiCaprio, plaçait les mousquetaires à la période du Vicomte de Bragelonne.  Et il y a aussi des fictions dérivées. L’une des meilleures fut indiscutablement La fille de D’Artagnan (1994), avec Sophie Marceau et Philippe Noiret. L’histoire, n’avait rien à voir avec le livre, mais tous le savaient d’emblée, puisque D’Artagnan n’a jamais eu d’enfant dans l’ouvrage de Dumas.

Refonte

Dans cette mouture 2011, les scénaristes Andrew Davies (Bridget Jones’ Diary) et Alex Litvak (Predators), proposent des relectures poussées. Des personnages antagonistes dans le bouquin sont cette fois des alliés, des acteurs de premier plan qui voulaient faire disparaître des ennemis sont désormais des amants, des disparus en devenir ne disparaissent pas et des personnages périphériques ne figurent pas au générique.

Ça, c’est pour la trame de fond. Au plan de la forme, les moyens technologiques d’aujourd’hui jumelés aux effets 3D font que cette nouvelle version peut être qualifiée de moderne sans l’ombre d’un doute.

Il y a longtemps que l’on a compris que le cinéma adaptait les romans. Lire ici le mot adapter comme dans synonyme d’inspiration. Une base de travail. Un canevas connu duquel on pose de nouvelles bases. Qui plus est, avec Les Trois Mousquetaires, nous avons affaire à un roman qui est adapté depuis le temps du cinéma muet (1912). Difficile de se démarquer, donc.

Un jeune D'Artagnan (Logan Lerman) plein de fougue, pour un public cible de jeunes cinéphiles. Photo courtoisie Alliance.

La production a annoncé la couleur ces dernières semaines. Cette version contemporaine des Trois Mousquetaires vise un public cible jeune, qui connaît peu – ou pas du tout – l’origine du roman de Dumas. Légitime prise de position créative.

Mais ce faisant, les créateurs prennent le risque de voir les amants de ce roman légendaire – qui vont compter pour une importante portion du box-office – s’inscrire en faux.

L’esprit des mousquetaires sera-t-il préservé ? Verdict dans deux jours.