Osheaga, jour 1: le marathon du boulimique

Andre 3000 et Big Boi, Outkast à Osheaga. Photo Catherine Lefebvre

Il y a plusieurs façons de couvrir un festival de l’envergure de celui d’Osheaga. Mais comme cela fait – déjà – trois semaines que le Festival de jazz est terminé, il y avait comme un manque dans le sang du journaliste. La musique crée une dépendance, vous savez. Donc, l’approche boulimique a été privilégiée.

Par Philippe Rezzonico

Approche boulimique, comme dans « combien de spectacles peut-on voir dans une journée presque complète ? ». Si j’ai bien compté, j’ai dû voir 11 prestations complètes, partielles ou sommaires, vendredi. Suivez le guide.

On commence au métro Sauvé. Rien à voir avec le festival. Quoique, si. La STM propose une carte Osheaga durant le week-end. Comme l’an dernier. Chouette idée pour les boulimiques. On demande ladite carte au préposé.

« On l’a pas ici ».

– Et où est-elle disponible?

« Dans les stations du centre-ville ».

– Ah bon. Ce sont seulement les gens qui résident au centre-ville qui vont au festival (sourire narquois). Pas ceux qui partent du métro Sauvé ou de Laval?

Message au groupe evenko : pouvez-vous vous assurer l’an prochain que l’organisme de transport qui dessert la métropole québécoise s’assure que la carte Osheaga (c’est votre marque de commerce, après tout) soit disponible dans toutes les stations de métro?

Le marathon s’amorce

Arrivée à 14h30 sur le site, un quart d’heure pour récupérer l’accréditation, passer faire un tour à la tente de presse pour constater qu’elle a quadruplé de volume (excellent), puis, on amorce le parcours.

Belle prestation des membres d’Old Crow Medecine Show sur la scène de la rivière. Le beau temps et le soleil, ça cadre bien avec la musique folk et americana nappée de violon et d’autres d’instruments organiques du groupe de Nashville. Sur des musiques agréables à l’oreille, les Américains ont su maintenir le niveau d’énergie alors que le parterre principal affichait déjà presque complet.

Ça permettait aussi l’hydratation à grands litres de bière dans les nouveaux verres recyclables du festival. Vous payez deux dollars pour le verre au logo Osheaga en début de journée et à la fin, vous pouvez le rendre – et vous rend les deux dollars – ou le garder en souvenir. Cela se fait depuis des années en Europe. J’avais vu ça une première fois à Barcelone en 2008. La fibre environnementale arrive enfin en Amérique.

Awolnation a, lui aussi, bien tiré son épingle du jeu. Les chansons (Guilty Filthy Soul, Jump on My Shoulders) du groupe d’Aaron Bruno sont colorées d’une multitude de claviers, elles ont de l’entrain et le vétéran a du métier. Il sait comment être accrocheur, sans être racoleur.

Hannah Reid, de London Grammar. Photo Catherine Lefebvre.

Si le site principal est pas mal toujours le même en dépit de modifications à la scène v.i.p., celui situé dans la zone Est de l’île dispose désormais d’une troisième scène (scène de la vallée) en plus des scènes des arbres et verte.

C’est sur cette dernière scène que le rappeur Pusha T a fait un carton plein. Tout ce qui était massé devant la console (5000 personnes, à vue de nez) chantait les paroles des chansons de l’Américain (King Push, My Name is My Name, New God Flow). Ça faisait presque le même effet que Of Monsters and Men, l’an dernier au même endroit, mais dans un genre complètement différent. Gros succès.

Par la suite, Alex Nevsky, l’un des rares artistes francophones présent à Osheaga, s’est payé un solide set décontracté sur la scène des arbres. Le Québécois a fait preuve d’humour et a il incité les gens à danser sur un slow avec un partenaire. Devant le peu de succès, il a noté : « Ça va être le seul slow de la fin de semaine. Skrillex ne vous proposera pas ça. »

Nevsky a clôturé en force sa première prestation à Osheaga et nous n’avons eu que quelques pas à faire pour s’installer devant Von Pariahs, placés sur la toute petite scène de la vallée. À écouter les Français de Nantes, j’ai pensé aux Talkings Heads – très net -, un peu à Gang of Four et même aux Figgs. Rock-pop mélodique indie un tantinet punk qui s’écoute fort bien, quoique le chanteur, Sam, semblait constamment essoufflé au terme des chansons.

Foster the People. Photo Catherine Lefebvre.

Nous avons donc descendu le talus pour retourner devant la scène verte et London Grammar. Ce trio de Dublin, c’est avant tout Hannah Reid, la voix aérienne qui nous fait planer sur des compositions le plus souvent atmosphériques. Tout aussi joli que sur disque, cette musique, mais elle n’était pas idéale sur la troisième scène en importance du festival.

Le trio, pas dynamique, est statique, et il est impensable que les bavards se la bouclent dans un contexte de festival. L’ajout de la scène de la vallée cause également problème, du moins, quand un groupe comme Von Pariahs s’y trouve. L’an dernier, il y avait alternance entre les artistes présents sur la scène verte et ceux sur celle des arbres. Désormais, ceux de la scène de la vallée jouent en même temps que ceux de la scène verte, et quand on entendait nettement les basses en provenance de l’autre plateau, même placés très près de London Grammar. On se reprendra.

Retour vers le centre pour Foster the People qui fait dans une pop pas mal plus « main stream » qu’alternative, selon moi. Mark Foster, le beau gosse, séduit les femmes, la pop pas trop sucrée se laisse savourer, mais après une demi-heure, je m’ennuyais sur les variations de tempo, ou plutôt, l’absence de…

Et puis, si je peux comprendre qu’une chanson comme Coming of Age a une réelle signification pour le public cible de Foster the People, ça passe difficilement quand le chanteur n’est pas un écorché vif comme Thom Yorke. Bref, c’était le temps d’aller bouffer, tiens…

Le bombardement Skrillex

Dans Where it’s At, Beck chante « two turntables and a microphone ». Skrillex n’a certes pas compris l’esprit de simplicité de son compatriote. Dans le genre DJ, il n’a qu’un niveau de volume – ou presque – celui de la puissance 10. Quand le rideau s’est levé, Skrillex est apparu sur une scène qui était un vaisseau spatial.

Skrillex et son vaisseau spatial. Nous n'avons plus les DJ d'antan. Photo Catherine Lefebvre.

Durant plus d’une heure, il a fait trembler la terre. Je n’ai pas entendu souvent des basses si incroyablement lourdes. Celui qui se nomme Sonny Moore au quotidien, a bombardé la foule de beats, de pulsions et de rythmes trépidants en ralentissant à peine le tempo une seconde.

Défoulement collectif, transe, kermesse : tous les mots sont valables pour tenter de décrire l’ambiance qui régnait. Imagine Dragons, à la même place, en 2013, c’était de la rigolade. Au plan musical, Skrillex n’offre rien d’original, mais il a compris un truc.

Son vaisseau spatial qui fait office de système de lumières ainsi que ses projections sur écran sont d’une redoutable efficacité et offrent aux spectateurs un « son et lumière » qui frise le jamais vu. C’est redoutable, même si ça ressemble parfois à de la redite. Mais dans un festival, ce genre de prestation, c’est de la dynamite.

Il ne restait donc que les vieux potes d’Atlanta, Andre 3000 et Big Boi, pour conclure le programme. Il faut admettre qu’Outkast n’avait pas la tâche facile après le déferlement sonore de Skrillex, mais les as du rap sudiste avaient quelques as, justement, dans leur manche.

Outkast: du punch, du « flow » et des mélodies faites pour danser. Photo Catherine Lefebvre.

Puissant jeu de lumières, grand écran : l’approche était plus « old school » que le DJ qui les précédait, mais Outkast était flanqué de collègues rappeurs, de choristes et de musiciens parmi lesquels on retrouvait des cuivres.

Après toutes ses années, chaque membre du duo conservait son identité. Big Boi chante avec un micro qui est une réplique d’un coup de poing américain. Fort symbolisme. En revanche, Andre 3000 fait monter sur scènes des jeunes femmes triées sur le volet durant le spectacle et il démontre son sens de l’humour avec une combinaison sur laquelle il est écrit : « Life is short, take more baths » (La vie est courte, prenez plus de bains). Personnalités distinctes, dites-vous?

Cela se reflète dans ce spectacle où les deux compères partagent la scène ou lorsqu’ils interprètent des titres composés individuellement.

Partage assumé, donc, face à un public qui a fortement réagi à B.O.B., Skew It on the Bar-B ou Ms Jackson (percutante), qui était précédée d’une énumération rigolote de tous les Jackson connus (Janet, Jermaine, Samuel, etc.).

Puis, Big Boi a enchaîné avec un trio exemplaire (Kryptonite (I’m On It), Ghetto Musick, The Way You Move) : du punch, du « flow », des mélodies, des rythmes pour danser. Formidable. Andre 3000 a plutôt versé dans le sensuel dénué de subtilité à son retour en interprétant She Lives In My Lap, tandis qu’une image géante d’un femme nue dévoilant son entre-jambe défilait à l’écran. Ne craignez rien, l’essentiel était masqué…

Puis, avec les jeunes femmes dont je parlais plus haut, il a transformé le parterre du parc Jean-Drapeau en fourmilière en folie avec Hey Ya! J’étais dans une zone où il y avait 18 filles pour deux gars et j’ai failli être englouti. Il fallait voir et entendre toutes ces femmes (16-30 ans) chanter les paroles à l’unisson avec Andre Benjamin, tout en sautillant sans cesse. Même Skrillex n’a pu faire mieux.

Outkast a ensuite plongé dans son passé et son premier disque en interprétant Hootie Hoo, Southernplayalisticadillacmusik et Player’s Ball. Cela a fait un grand plaisir aux vrais fans de la première heure, mais le mercure a baisé de quelques degrés avant que le duo relance le tout avec Roses.

Bon. Dix, onze… Je ne sais plus. Mais ce fut chargé. Samedi soir, on cible. Le texte sera nettement plus court.