Prince: sensationnel, mais pas légendaire

Prince, que l'on voit ici au Métropolis cet été, a offert une formidable performance au Centre Bell à laquelle il manquait le grain de folie et l'abandon vécu six mois plus tôt. Photo d'archives. Courtoisie Pascal Ratthé.

Nous n’avions aucune attente, l’été denier, en vue du programme double de Prince au Métropolis, lors du Festival de jazz. A l’arrivée : nous avons eu droit à des shows légendaires de quatre et trois heures et demie. Forcément, les attentes étaient colossales, vendredi, pour le retour de Prince au Centre Bell. Cette fois, le compteur s’est arrêté à deux heures et 20 minutes. Moins bon show ? Même pas. Partiellement notre faute. Cette fois, nous n’avons pas mérité le marathon.

Par Philippe Rezzonico

Il est comme ça, le prince. C’est un trippeux de musique. Il peut jouer jusqu’aux petites heures si ça lui chante – ce qu’il a fait les 25 et 26 juin en quittant la scène à 3h30 du matin chaque fois -, mais il faut qu’il sente que l’on vibre autant que lui. C’est de l’ordre du détail, je vous le concède. Mais ce sont ces nuances qui font qu’une performance dure trois heures plutôt que deux, qu’un artiste joue tel succès plutôt que tel autre. C’est donnant-donnant. Et vendredi, Prince a donné plus qu’il n’a reçu.

Et qu’est-ce qu’il a donné, d’ailleurs, en ouverture… A l’image de ce qu’on avait vu il y a six mois, la première demi-heure a été explosive à souhait. Sur son immense scène de forme atypique qui reproduit son sigle digne d’un chromosome, Prince, son saxophoniste Maceo Parker, sa guitariste, protégée et blonde Andy Allo, ainsi que leurs collègues ont enchaîné les We Live (2 Get Funky), Pop Life, Musicology, Take Me With U, Raspberry Beret et autres Cream à un rythme d’enfer.

Avec ses bottes de fourrure blanches – c’était la tournée Welcome 2 Canada en décembre après tout – , Prince a arpenté en tous sens la structure scénique dont il s’était servi lors de sa résidence de spectacles à Londres (21 Nights in London) à l’été 2007. Armé de sa guitare, flanqué de ses choristes, assis ou debout sur son piano, il a démontré toute l’étendue de sa maîtrise des foules.

Durant Musicology, il a invité un fan et sa blonde à venir danser sur les planches, eux qui étaient parmi les spectateurs massés près de la scène, là où des petites tables bistro avaient pris la place des chaises pliantes traditionnelles. Bonne idée. On n’avait pas vu ça à Londres il y a quatre ans. Amélioration.

Tube après tube

Plus tu agrandis ton terrain de jeu, plus tu dois être fédérateur. Comprendre : tu dois jouer tes succès. Sur ce plan, Prince n’a pas été chiche : U Got the Look, Take Me With U, Little Red Corvette (ralentie, sensuelle et baignée dans la lumière rouge), et, bien sûr, Purple Rain, avec les grands draps suspendus au plafond. Cette dernière a eu droit à une introduction marquante, quand Prince a déclaré qu’il ne se lassait jamais de la jouer, qu’elle était toute neuve chaque soir. Et elle fut gigantesque.

C’est aussi à ce moment qu’il a demandé aux spectateurs lesquels l’avaient déjà vu ou pas en spectacle. Là, j’ai compris que ce show n’allait jamais atteindre le cap des trois heures. Le nombre de nouveaux venus – si je me fie aux applaudissements – dépassait de beaucoup les habitués de Sa Majesté pourpre. Plein de gens, donc, qui voulaient entendre les chansons légendaires une fois dans leur vie, mais qui n’étaient peut-être pas prêts à un marathon pour fans finis.

Des hits, justement, il y en a eu des tas d’autres : 1999 a probablement été accueilli avec le plus d’enthousiasme (délire !), alors que Let’s Go Crazy – jumelée à Delirious – a été bien moins percutante que cet été. A l’inverse, on a eu droit à une formidable relecture de When Doves Cry, hachurée au piano.

En fait, tout ce bloc du troisième rappel – quand même – a été du tonnerre, avec un long pot-pourri qui comprenait Sign of the Times, Would I Die For U, Hot Thing, Darling Nikki… – Non il ne l’a pas jouée celle-là, après avoir amorcé les premières notes – et Kiss, qui a fait sauter le Centre Bell. Encore plus vrai quand Prince a refilé son micro à une dame qui a  interprété la chanson sur les planches comme si c’était la sienne.

Michael, Cars, Joan Jett

Prince, on le sait, aime bien s’approprier des chansons. C’est néanmoins curieux d’entendre Don’t Stop Till You Get Enough, de vous-savez-qui, dans son show. Dieu que Michael Jackson et lui se détestaient au milieu des années 1980 quand Thriller et Purple Rain comptaient parmi les disques les plus vendus de la planète!

On a eu droit à une version intéressante de Let’s Go et à I Love Rock n’ Roll – en duo avec Allo -, pratiquement offerte comme un slow funk. Belle surprise. Et, sauf erreur, Make You Feel My Love, de Dylan, quoique chantée uniquement par les choristes.

Succès blindés et reprises inspirées. Prince n'a pas été chiche. Photo d'archives. Courtoisie Pascal Ratthé.

N’empêche, Prince a beaucoup plus dansé que joué de la guitare, vendredi. Il a aussi harangué la foule sans cesse, n’obtenant pas toujours l’impact qu’il recherchait sur le plan de la participation vocale. On a souvent senti qu’il ramait. Écoutez… Il a hurlé «Montréal !» plus souvent que Paul Stanley durant un show de Kiss ou que Jay-Z et Kanye West il y a 10 jours. C’est vous dire…. Sauf durant Purple Rain quand les 12, 000 spectateurs ont chanté les « woo-woo-woo » comme un seul homme.

Oui, 12, 000 entrées : personne au troisième balcon, la moitié du deuxième caché par des toiles et plein de gens relocalisés dans les sections 100, dont deux de mes amis. Résultante d’un retour précipité dans la même ville? Billets trop chers ? Allez savoir.

Au final, Prince aura livré un show sensationnel, mais certains d’entre nous sont restés sur leur faim. Mais cette fois, c’est partiellement de sa faute. Il n’avait pas à mettre la barre si haut cet été.