Quarante minutes avant que Rammstein ne monte sur la scène du Centre Bell, un revendeur tentait d’écouler sur le trottoir un billet situé dans la toute première rangée du parterre. Je ne sais pas combien il demandait, ni même s’il a trouvé preneur, mais jamais je n’aurais pris ledit billet même s’il me l’avait offert gratuitement. Je savais…
Par Philippe Rezzonico
Je savais qu’un spectacle de Rammstein, c’était une défonce musicale de métal industriel allemand doublée d’une mise en scène qui fait la part belle aux effets pyrotechniques, aux pétards assourdissants et, surtout, aux lance-flammes de tous calibres.
D’ailleurs, pour une rare fois, j’étais un peu inquiet de me retrouver avec un billet de couverture dans la section 101, à quelque 50 pieds du flanc gauche de la scène. Je me disais qu’on risquait d’avoir chaud.
Un quart d’heure après que le chanteur Till Lindemann et ses collègues se soient pointés sur la petite scène centrale après avoir descendu les marches du Centre Bell en procession, j’étais juste content d’être encore intact, même si j’avais une fichue de bonne idée de ce que doit ressentir un poulet cuit à la broche.
Expérience
Aller voir Rammstein, ce n’est pas aller voir un spectacle banal. Comme pour Metallica dans ses grands soirs, c’est vivre une expérience de scène qui n’a guère d’égal dans le genre lourd, hard, heavy et brutal. Si une bonne partie de l’explication tient à la musique des Allemands, je me disais aussi que ça avait beaucoup à faire avec la langue d’expression.
L’allemand possède une phonétique carrée et rude qui sied à merveille avec le genre métal. J’ai beau ne rien comprendre de ce que les gars nous interprètent, ça décuple la puissance de cette musique qui est déjà vitaminée au possible.
Passerelle en métal suspendue qui descend tout près des spectateurs pour permettre au groupe de passer de la scène principale à celle située au milieu du parterre, structure qui s’apparente vaguement à une usine métallurgique, luminaires ronds imposants qui ressemblent à des cuves : Rammstein assume son univers rugueux, sans pour autant balayer toute forme de style.
Il y a un certain décorum dans la façon dont les boys se déplacent, une manière un tantinet militaire dans l’approche. Même lorsqu’ils saluent la foule à la toute fin du spectacle en posant un genou au sol.
Puissant défoulement
Mais un show de Rammstein demeure aussi un formidable moment de défoulement collectif. Avec la batterie de Christoph Schneider et la basse d’Oliver Riedel, on a constamment l’impression d’être dans une fonderie où un maréchal ferrant taperait sans relâche sur une enclume.
Avec les riffs béton des guitares de Richard Kruspe et Paul Landers et la voix grave de Lindemann, la déflagration ne baisse jamais d’intensité, en dépit de la coloration des claviers de Christian Lorenz.
Et ça chauffe ! Au sens propre comme au figuré. Woltt Ihr Das Bett (You want to see the bad), Keine Lust (Not in the Mood), Sehnsucht (Longing) – avec les pieds de micro de Kruspe et Landers en feu -, Mein Teil (My Piece) – avec Lorenz qui cuit dans un chaudron alors que Lindemann se sert de lance-flammes de plus en plus gros – et Feuer Frei (Fire) – où Lindemann, Kruspe et Landers se transforment en cracheurs de feu industriels – sont toutes livrées en mode incendie, laissant une odeur de souffre derrière elles. Même les ailes de l’ange durant Engle (Angel), au rappel, crachaient des flammes. C’est vous dire…
Ne me félicitez pas pour mes titres en allemand et les traductions en anglais. Je n’ai jamais eu droit à un cours d’allemand 101. Ce sont les titres originaux avec les traductions offertes par la production aux journalistes. J’espère, sans fautes, dans les deux cas.
Comme c’est le cas dans tous les spectacles, la séquence sur la petite scène a pratiquement volé le show. Peut-être parce que Buck Dich (Bent Over) avec sa mise en scène à la fois bestiale et S&M y a été jouée, remarquez… Pas fait pour les cœurs sensibles.
Cela dit, pour les presque 13, 000 spectateurs présents, peu importe ce que Rammstein leur offrait, la fougue, la frénésie et la liesse étaient présentes : refrains chantés à l’unisson, poings en l’air et séance permanente de rentre-dedans au devant du parterre. Il fallait être fait fort pour se tenir là.
Les Allemands, eux, avaient encore des milliers de confettis en réserve pour Amerika (America) et de la neige carbonique à profusion pour la finale avec Pussy. Disons que les deux ou trois cents personnes les plus proches de la scène ont été aspergées comme ce n’était pas permis. Mais après avoir été près de la fournaise que fut cette scène durant deux heures, cela tombait à point.