Il y a belle lurette que je vais voir ce qu’on désigne comme étant des shows « nostalgie », à savoir, des artistes ou groupes qui ont amorcé leur carrière à mon adolescence ou bien avant. Mais cela fait aussi un certain temps que je vais voir des spectacles estampillés « nostalgie » par la génération qui me suit.
Par Philippe Rezzonico
C’était le cas, dimanche, au Métropolis, où la frange du public comprise entre la fin trentaine et la mi quarantaine venait voir l’un de ses héros de jeunesse, le groupe américain Soundgarden. Pour moi, Soundgarden, ce n’est pas un trip de nostalgie.
Quand j’ai découvert ce band au début des années 1990 (Badmotorfinger, 1991), j’étais à la porte de la trentaine. Comme nombre de bands issus de Seattle ou de la côte ouest à cette période, j’avais aimé l’apport rugueux, la musique dissonante et une fureur ressentie précédemment parmi les pionniers du rock n’ roll des années 1950 et ceux qui ont mené l’explosion punk des années 1970. Cette période que je nomme le troisième « Big Bang » du Rock n’ Roll.
Bref, je n’avais certes pas le même regard que mes jeunes collègues Marc-André Mongrain (sorstu.ca) et Richard Legault (Montrealconcerts.com) qui regardaient ce spectacle comme je le fais à un show de U2. Pas d’attachement sentimental, ici.
Cela dit, il y a des retours nostalgiques qui valent toujours la peine (Rolling Stones, Billy Joel, Diana Ross) et d’autres qui ne valent malheureusement plus le détour (Smokey Robinson, Aretha Franklin, B. B. King). Peu importe le groupe, ce qu’il faut, c’est livrer la marchandise. Et sur cet aspect, la bande à Chris Cornell n’a pas raté son coup.
Il est vrai que de compter sur un chanteur qui a gardé la forme physique et vocale de sa vingtaine ne nuit pas. Le décalage entre Cornell, le guitariste Kim Thayil – qui a pris un réel coup de vieux – et le bassiste Ben Shepherd – qui a pris un peu de ventre – était significatif. Heureusement, ça ne s’appliquait qu’au plan physique. Thayil et Shepherd avaient encore les doigts lestes sur leurs manches. Derrière eux, Matt Chamberlain a bien fait dans son rôle de substitut à Matt Cameron, présentement en tournée avec Pearl Jam.
C’est néanmoins Cornell – qui aura 50 ans le 20 juillet – qui a volé le show, arrivant à pousser des chansons comme si nous étions en 1994 à l’auditorium de Verdun. Il fallait l’entendre lors de Outshined (géante) et A Thousand Days Before. Vieux stock ou chansons récentes, ça rentrait au poste.
Des succès à la pelle
Autre élément essentiel quand tu fais un retour après une longue séparation avec ton band (Cornell a fondé Audioslave et fait des projets solos durant des années), tu n’emmerdes pas les fans de longue date avec trop de nouvelles chansons. Sur cet aspect aussi, Soundgarden a parfaitement dosé son offrande.
La fort bien intitulée Been Away Too Long (solide) était tout indiquée, tandis que Attrition – apprise par Chamberlain durant l’après-midi – ont bien passé la rampe. Et Soundgarden n’a pas été chiche, rayons succès « grand public » et titres essentiels. Quand tu te permets de jouer Spoonman dès la deuxième chanson, c’est que tu as des munitions à revendre.
Pour ceux qui ont découvert Soundgarden quand les succès de Nirvana (Nevermind) et de Metallica (l’éponyme album noir) ont permis à Black Hole Sun de se frayer un chemin sur les ondes commerciales (radio FM et chaînes de clips), nul doute que cette chanson fut l’un des grands moments de la soirée.
Il fallait entendre cette foule tassée comme des sardines dans ce Métropolis trop petit et surchauffé reprendre le refrain. D’ailleurs, tout ce qui a été joué de Superunknown a été à la hauteur. La chanson-titre était irrésistible, My Wave était blindée, 4th of July était transcendante et Fell On Black Days, qui suivait l’excellente Blow Up the Outside World, a fait mouche comme jamais. Oui, ça revivait sa jeunesse à plein, dans la Saunapolis…
Mais les vrais de vrais fans. Ceux « avant » le succès planétaire, ils ont vraiment pris leur pris avec Outshine, Rusty Cage – qui a incendié la place en fin de parcours – et lors de Jesus Christ Pose, qui a ravagé la salle.
Il s’agissait du meilleur moment de la soirée à mes yeux, mais c’était peut-être le seul moment où l’on a vraiment senti cette rage d’antan de Soundgarden, du temps qu’eux et tous les Nirvana, Pearl Jam et Rage Against the Machine ne faisaient pas que de la musique, mais bien des hymnes fédérateurs et sociaux pour leur génération, qui pouvaient aussi être des hymnes dénonciateurs. Homérique.
Si l’on se serait passé des dix minutes de distorsion entre Thayil et Shepherd (oui, je sais, c’est leur marque de commerce, mais on a perdu Let Me Drown au change…) force est d’admettre que Soundgarden a mis toute la sauce lors de ce généreux spectacle de deux heures dans un Métropolis survolté.
Nostalgique, ce show? Même pas. Dimanche, Soundgarden aurait botté le derrière à des tas de groupes hipsters bien plus jeunes qu’eux.