À 66 ans bien sonnés, Steve Hackett, le guitariste londonien, avait l’air d’un jouvenceau hier soir dans un Théatre Maisonneuve affichant complet pour son escale montréalaise de la tournée From Acolyte to Wolflight.
Par Claude Côté
On ne le dira jamais assez: le Québec aime le rock progressif et voue un culte sans bornes à ses pionniers. Chaque rendez-vous avec les Strawbs, PFM, King Crimson et autres Van Der Graaf Generator qui débarquent de plus en plus rarement chez nous est pour la génération des 45 ans et plus un devoir de mémoire inassouvi, une date obligatoire à l’agenda où le dollar-loisir est allongé avec l’émerveillement pour les chansons de huit, douze et même vingt-deux minutes, le «prog-rock» comme l’a qualifié hier Steve Hackett et comme le fait Steven Wilson, son plus fidèle propagateur, aujourd’hui.
Hier soir au Théatre Maisonneuve, on a vu tous les visages de Steve Hackett: celui des vingt-six albums studio depuis Voyage of the Acolyte paru en 1975 jusqu’à Wolflight cette année, celui des quinze disques ‘’live’’, des neuf DVD et des cinquante collaborations sur différents projets. Et bien sûr, la raison du spectacle à guichets fermés: le Steve Hackett du Genesis première mouture qui deviendra membre du groupe en 1971 en remplacement d’Anthony Phillips.
Faites le compte: Nursery Cryme, Foxtrot, Genesis Live, Selling England By The Pound, The Lamb Lies Down on Broadway, A Trick of the Tail et Wind and Wuthering, sept albums entre 1971 et 1977 où Steve Hackett était un membre de Genesis avant de quitter Phil Collins et sa bande pour des raisons de divergences artistiques. Bref, le Britannique avait un terrain de jeu immense pour nous divertir.
Navigateur solitaire
Le programme était connu pour quiconque daigne visiter setlist.fm, le concert de Québec vendredi, celui d’hier à Montréal et celui de dimanche au Casino du Lac Leamy à Gatineau est identique et ainsi conçu: une première partie de douze titres du catalogue Hackett, un entracte de quinze minutes, puis la plongée en apnée dans le patrimoine du mythique quintette anglais avec huit relectures pile-poil des chansons choisies par le principal intéressé. Comprendre ici :celles où Hackett a davantage mis sa griffe de compositeur avec Genesis.
La mise en scène est sobre,un rideau, un jeu de lumière dernier cri, aucune projection ni dispositifs scéniques et cinq musiciens qui s’exécutent avec une sono exceptionnelle, limpide même au fond de la salle.
Après Spectral Mornings, Out Of The Body et Wolflight en guise d’introduction, les présentations d’usage: Rob Townshend, saxophone, flûte et percussions, Roger King, claviers, Gary O’Toole, batterie et Roine Stolt avec sa basse Rickenbacker et son occasionnelle guitare (moins spectaculaire que Nick Beggs son prédécesseur) qui collabore avec Steven Wilson et Jon Anderson (Yes) accompagnent Hackett, le guitariste à la Les Paul avec son armada de pédales qui ont servi allègrement. Les univers sonores sont décalés et l’homme ne verse jamais dans la démonstration technique.
Avant d’entendre les Icarus Ascending, Star Of Sirius et Ace Of Wands où les accords plombés atteignaient le plexus et où les rythmes syncopés garnissaient avec brio le catalogue, on a eu droit à un grand moment de bonheur avec Loving Sea. Hackett a enfilé la douze cordes acoustique et les musiciens ont laissé toute la place aux harmonies vocales, c’était du Crosby, Stills and Nash (sans Young) à s’y méprendre. Doux moment, aérien, céleste, qui dévoilait un autre visage d’Hackett. Un Hackett serein, drôle dans ses interventions en français, décoincé, sans âge.
La Génèse, cette grande dame
Ce n’était pas le spectacle Genesis Revisited d’il y a deux ans, où Hackett avait joué la marathonienne Supper’s Ready, de l’avis du collègue Jean-François Brassard, un moment de grâce. Mais en voyant arriver Nad Sylvan, le chanteur à la voix de l’ange Gabriel et son look de ménestrel, on aura droit à un set «chanté» contrairement aux pièces pour la plupart instrumentales du premier volet du spectacle.
Get’them Out By Friday et Can-Utility and The Coastliners, toutes deux tirées de Foxtrot, ont eu leur plein effet, les nappes de moog et de melotron avaient la part belle. On était bel et bien au début des années soixante-dix!
After The Ordeal a ensuite précédé la ‘’romantique antique’’ (dixit Hackett) Cinema Show ou la conquête de Juliette par Roméo est au coeur de l’affaire, Aisle Of Plenty, la pièce titre de l’album-double The Lamb Lies Down On Broadway avant le plus beau moment de la soirée: The Musical Box et cette finale d’anthologie où le chanteur a reprit parfaitement la phrase: ‘’Why don’t you touch me, NOW, NOW, NOW, NOW, NOW!
Cathartique, libérateur, puissant
Heureusement, Sylvan n’a pas poussé l’audace jusqu’à mettre le masque de vieillard que portait Peter Gabriel lorsque je l’ai vu défier le foule en délire au Forum en 1974, mon premier show à vie et le dernier de Gabriel à Montréal en tant que membre de Genesis
Puis un Firth Of Fith sans failles au rappel a mis fin à cette soirée jubilatoire.